Photo Grand_Marin_Slot_Machine

GRAND MARIN

Lili a tout quitté pour partir au bout du monde réaliser son rêve : pêcher sur les mers du Nord. Elle persuade Ian, capitaine de chalutier, de lui donner sa chance et s’embarque sur le Rebel. Solitaire et insaisissable, celle que l’on surnomme « moineau » est la seule femme de l’équipage. Mais sous une apparente fragilité Lili est déterminée à aller jusqu’au bout de sa quête et défendre sa liberté .

Critique du film

Dinara Drukarova est une artiste cosmopolite, née russe à l’état civil, mais également au cinéma sous le regard du cinéaste Vitali Kanevski. Elle se révèle à ses cotés au festival de Cannes avec Bouge pas, meurs, ressuscite qui reçoit la Caméra d’or, le prix qui récompense le meilleur premier film toutes sélections confondues sur la Croisette. L’actrice n’a alors que 14 ans et déjà un pied dans ce qui deviendra son pays d’élection, la France. L’immense majorité de sa carrière s’inscrit dans le cinéma français, dans des films comme Gainsbourg, vie héroïque, Le monde nous appartient, ou Trois souvenirs de ma jeunesse. C’est pourtant de nouveau en Russie qu’elle s’est de nouveau faite remarquer dans l’excellent Compartiment n°6 du finlandais Juho Kuosmanen, présenté en compétition à Cannes en 2021 où il reçut le Grand prix. Ces trois décennies devant la caméra l’ont comme beaucoup amenée à s’interroger sur la possibilité de raconter elle-même une histoire et devenir à son tour cinéaste.

C’est un roman de Catherine Poulain, Le grand marin, qui décide Dinara Drukarova à investir ce projet des deux cotés de la caméra. Elle est à la fois le véhicule et le cœur de ce premier film, incarnant Lili, une femme au passé mystérieux qui décide de prendre la mer comme on rentre en religion, avec passion et soudaineté. On pourrait même dire que Lili est prise d’une forme de mysticisme vis à vis de cette nouvelle vie, elle ne veut plus rester sur la terre ferme, se destinant toute entière à ces navires de pêche qui voguent toujours plus au Nord suivant les saisons. C’est cette idée minimaliste qui sert de socle à toute l’histoire de Grand marin qui ne s’embarrasse d’aucune fioriture, sec comme le vent de la mer de ces terres atlantiques. A l’étrangeté de sa personne succèdent pourtant de nombreuses problématiques.

Grand marin
En premier lieu, comment être une femme dans un milieu où les seules femmes servent à boire dans le bar où l’on vient s’enivrer une fois le pied descendu du bateau. Lili est catégorique : elle ne veut plus être la femme de personne, l’appartenance à un individu n’est pas plus possible pour elle que de faire partie du modèle classique qui veut qu’on vive dans une maison, avec une famille et un travail sédentaire. Les hommes sont à la fois excités par cette présence étrangère, mais elle représente également une provocation, un motif de colère pour cette communauté mâle qui voit ces escapades marines comme des parenthèses hors du monde et hors du temps. Mise en garde, menacée, désirée ou harcelée, Lili est tout cela à la fois, elle qui ne veut que prouver sa capacité à exister dans cet univers hostile. C’est ainsi que l’actrice et cinéaste regarde son personnage, comme une personne en fuite de tous les schémas établis. On la dit femme, elle se filme en marin, pêchant, redoutant d’être débarquée pour un motif quel qu’il soit, comme la blessure qu’elle contracte par accident.

Dinara Drukarova infuse énormément de sensibilité dans son regard, sa caméra épousant les contours sauvages de la haute mer comme la rudesse des corps de ces damnés de la mer qui composent l’équipage et l’entourage du bateau. Elle choisit de ne pas juger ses personnages, malgré leur lourdeur et leurs défauts apparents, comme si toute morale était restée dans le hors-champ où se trouve sa vie passée dont on ne saura jamais rien.

Le film est bref, à l’os, dressé vers un objectif simple et entier, celui d’une fuite vers l’océan qui représente ici un continent noir où les règles des sociétés humaines s’estompent pour laisser triompher une nature qui demeure souveraine. Si lors d’une pause sur terre elle s’autorise à devenir humaine de nouveau, c’est en rappelant qu’il n’y a pas de retour possible pour elle, aucun endroit ne l’attends, hormis le purgatoire de l’océan. Si le film demeure fragile et contenu en peu de choses, il dégage une sincérité et une âme qui finissent par envahir nos yeux et nos cœurs. Grand marin est une belle promesse pour cette jeune cinéaste en devenir.

Bande-annonce

11 janvier 2023 – De et avec Dinara Drukarova, Dylan Robert et Anthonythasan Jesuthasan


Festival de La Roche-sur-Yon




%d blogueurs aiment cette page :