déserts

DÉSERTS

Mehdi et Hamid travaillent pour une agence de recouvrement à Casablanca. Les deux pieds nickelés arpentent des villages lointains du grand sud marocain pour soutirer de l’argent à des familles surendettées…

CRITIQUE DU FILM 


Artiste chevronné avec plus de 25 ans de carrière, Faouzi Bensaïdi décide pour son nouveau long-métrage de filmer non pas un, mais plusieurs déserts, comme l’indique ce pluriel intrigant choisi comme titre. C’est en effet une des qualités premières et évidentes de cette histoire : introduire des couches de réalité et une profondeur de champ délicieuse pour l’introspection et l’analyse. Cette caractéristique correspond autant à une promesse qu’à une limite, à la fois sa vertu mais aussi la révélation d’une confusion qui empêche le film d’être pleinement satisfaisant.

Les deux personnages qui nous introduisent à cet univers, deux hommes en costumes cravates sillonnant les routes marocaines pour recouvrer des dettes, déroulent la pelote narrative passionnante de Déserts. Ici encore, on est surpris par la dualité qui envahit le plan. Hamid et Mehdi ont des objectifs à remplir pour leur société, les obligeant à être sans pitié avec les populations qui ont contracté des prêts démesurés par rapport à leurs capacités de remboursement. Le portrait qui est dressé est celui d’une société où l’argent manque, le dénuement omniprésent, et les populations gangrénées par un cancer qui les ronge, les condamnant à petit feu à une mort certaine. Très vite, les agents du malheur se révèlent eux aussi dans leurs difficultés, ce qui ajoute une strate supplémentaire d’horreur, le besoin des autres se heurtant en permanence à une réalité sociale délétère.

Ce constat pourrait faire croire à un film plombant et à la tonalité négative et dépressive, pourtant le réalisateur diffuse dans ses scènes un humour noir qui permet à l’histoire de s’élever au dessus de ce qui aurait dû être un écueil insurmontable. Les situations que rencontre le duo sont tellement improbables – s’emparer de trois chèvres ici, ou d’un vieux tapis là – qu’il est impossible de complètement perdre espoir. C’est dans cette veine que Faouzi Bensaïdi creuse un sillon politique surprenant, avec une critique acerbe et fine d’un capitalisme fou qui dresse les Marocains les uns contre les autres, contre tout bon sens. Il se met lui même en scène dans la peau d’un petit épicier qui vit le dernier jour de son commerce, avant de plier bagage, allant jusqu’à revendre la moindre porte, serrure ou morceau de bois qui pourrait être récupéré.


Malgré toutes ces louanges, il faut reconnaître une faiblesse dans le film qui correspond à l’absence de transition avec ce qui correspond au dernier tiers de l’histoire, l’apparition d’un mystérieux malfrat. Évadé de prison, il subtilise le véhicule des deux compères, et poursuit son propre chemin, les laissant hagards au sommet d’une colline, très beau plan qui sublime les décors naturels. Malheureusement, le coté très abrupt qui correspond à l’abandon de la trame principale pour ce dernier récit, est assez nébuleux et perd l’attention à un moment charnière. À partir de ce moment il est difficile de suivre le raisonnement du metteur en scène, qui se tire une balle dans le pied en guidant trop peu son spectateur.

Malgré cet écueil final, Déserts brille par son humour absurde et la complexité de son histoire qui montre bien des visages du Maroc, dans ce pluriel inaugural qu’on retrouve dans les situations, les personnages, et les difficultés pour vivre dans un tissu économique complètement absurde et inhumain. Si Déserts n’est pas totalement abouti, il réussit malgré tout plus qu’il ne rate et émeut énormément par ses prouesses comiques aux mille visages.

Bande-annonce

20 septembre 2023De Faouzi Bensaïdi, avec Fehd Benchemsi, Abdelhadi Talbi 


Cannes 2023Quinzaine



%d blogueurs aiment cette page :