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CURE

Un officier de police, Takabe, enquête sur une série de meurtres dont les victimes sont retrouvées avec une croix gravée dans le cou. Un jour, un jeune vagabond est arrêté près de l’endroit où a été retrouvé le dernier corps. Il est vite identifié comme un ancien étudiant en psychologie aux pouvoirs hypnotiques, qui pourrait pousser les gens à commettre des actes criminels… 

Critique du film

Le chef d’œuvre inégalable de son réalisateur ? Cure est, sans conteste, considéré par le public comme la pièce maîtresse de Kiyoshi Kurosawa. Son thriller psychologique a reçu les éloges des plus grands, de Scorsese à Fincher en passant par Bong Joon-ho. À raison ? Sans aucun doute. Cure s’impose comme un monument de son genre. En installant dès les premiers plans une tension presque palpable, le cinéaste attise la curiosité pour ne plus jamais la laisser s’évaporer. Le détective Takabe (Kōji Yakusho) découvre, au cours d’une enquête, le corps d’une jeune prostituée, dont le coup est marqué d’une croix gravée au scalpel. Le meurtrier n’est pas bien loin et ne nie pas les faits… ce qui ne surprend pas le détective, qui nous apprend quelques minutes plus tard que ce meurtre est le troisième du genre en quelques mois.

Kurosawa ne nous laisse pas le temps de réfléchir : en un quart d’heure, l’identité du meurtrier (Mamiyia) est déjà connue. Sa méthode également. Mamiya, ancien étudiant en psychologie,  hypnotise ses victimes à l’aide d’eau ou de feu, copiant les techniques de Mesmer. Mais le réalisateur va tout de même nous plonger dans la psyché de son personnage principal, Takabe, qui fait passer l’enquête avant sa vie personnelle. Il préfère questionner Mamiya pour le comprendre et l’empêcher de sévir à nouveau plutôt que de s’occuper de sa femme démente. Mais le cinéaste ne juge jamais son personnage principal et préfère nous inviter à nous poser la question suivante : une fois au contact du Mal, jusqu’où sombrerons-nous ? Takabe, lui, va entamer sa descente aux enfers sans pouvoir lutter.

Ô rage, Ô désespoir

Kurosawa emmène son personnage dans les ténèbres, visiblement lui-même convaincu que le Japon de la fin du XXème siècle va droit dans le mur. Chaque bâtiment public, des hôpitaux aux commissariats, est sale et en piteux état. Allons-nous inévitablement vers le pire ? N’y a-t-il aucune porte de sortie vers la lumière ? Certainement pas pour le cinéaste qui, dans sa plongée dans les méandres de l’âme humaine, nous dévoile le visage opaque et poisseux d’un Japon rongé par le Mal. Pour ce faire, le réalisateur japonais parie sur une mise en scène minimaliste à double tranchant : les dialogues le plus importants sont à peine montés. Facilement comparable au Silence des agneaux, à Se7en ou Memories of Murder, Cure préfère les plans séquences aux coupures habituelles. En résultent des discussions moins rythmées (et parfois un peu longues) mais débordantes d’authenticité. Les confrontations sont calmes, contemplatives, jamais explosives. Mais le cadre n’en est que plus oppressant.

Les décors sont froids, vides et délabrés : l’œil n’a aucun échappatoire. Aucune musique pour éventuellement attirer les oreilles, seulement des bruitages parfaitement dosés, parfois presque assourdissants pour nous mêler à la confusion des victimes. Le spectateur est forcé de se concentrer sur Mamiya et son hypnose et finit, comme les victimes du tueur en série, par questionner la nature de l’antagoniste. N’est-il qu’un messager ? Une personnification de la société japonaise que Kurosawa semble mépriser ? Est-il le diable ? Est-il la mort ? Est-il, lui aussi, une victime ? Toutes ces questions apparaissent après la première rencontre entre les deux personnages principaux, plongeant le protagoniste dans une démence largement supérieure à celle de sa femme. Et une nouvelle fois, Kurosawa dose parfaitement les ingrédients de cette folie, la rendant non seulement compréhensible, mais presque contagieuse. Lorsque Takabe se rend pour la première fois compte qu’il est trop tard et que Mamiya est déjà entré en lui, le spectateur questionne alors tout ce qu’il a vu jusqu’à présent… et tout ce qui intervient ensuite. 

Et au milieu du film, le choc. Takabe se précipité de rentrer chez lui, ouvre la porte et s’effondre par terre. Son interprète Kōji Yakusho lui-même semble frappé par le plus grand des malheurs : le corps bleuté et inerte de sa femme flottant dans le salon, une corde autour du cou. Et après un nouveau plan fixe sur la détresse de Takabe, Kurosawa nous met de nouveau face à sa femme, bien vivante et inquiète de voir son mari dans un tel état. Les frissons traversent l’écran et l’image reste en tête jusqu’à la conclusion du long-métrage, qui rentre à partir de cette scène dans une toute autre dimension.

Jour d’occulte

Dans les autres thrillers de la même décennie mentionnés plus haut, les réalisateurs ne se risquent pas au fantastique et s’attachent au réel. Un moyen plus conventionnel d’ancrer leur récit dans une certaine réalité, favorisant l’attachement du spectateur à l’intrigue ? Un principe dont Kurosawa s’affranchit aisément. Et pourtant, le récit n’en est que plus sincère : le cinéaste nous partage sa vision du monde, du mal et de la fin, nous confrontant à notre propre nature comme peu de thrillers noirs en sont capables.

Et une fois le silence de nouveau installé et Takabe hors d’atteinte, le coup de génie final. Le détective savoure son premier repas post-traumatique dans une ambiance étonnamment chaleureuse. Mais Kiyoshi Kurosawa ne croit pas aux happy endings. Sans dialogue, sans musique, sans bruitage, l’inévitable intervient : un nouveau vassal est né, plus puissant et plus intelligent que Mamiya. Est-il possible d’échapper à la noirceur de notre esprit ou sommes-nous voués à y succomber ? Au cours du film, seul Takabe semblait se rendre compte de la nature de la calamité qui s’abattait sur lui : pour lutter contre la banalisation du mal, doit-on l’incarner ? Pour Kurosawa, la réponse est évidente.


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