Batman mask

BATMAN CONTRE LE FANTÔME MASQUÉ

Un parrain de la pègre est assassiné par un homme en cape noire. Le nouveau procureur Arthur Reeves accuse Batman. Désormais traqué, Batman enquête pour retrouver le véritable meurtrier. Mais dans le même temps, Bruce Wayne retrouve aussi une ancienne petite-amie, Andréa Beaumont, dont le père fut autrefois mêlé aux affaires des gangsters tués. L’occasion pour le chevalier noir de replonger dans son passé, à l’époque où il faillit renoncer à devenir un justicier…

Critique du film

Alors qu’une nouvelle aventure de Batman a envahi les salles obscures du monde entier, sous la houlette de Matt Reeves, nombreux sont les spectateurs à relancer l’éternel débat et s‘écharper sur la question insoluble : quelle a été jusqu’à présent la meilleure adaptation du Chevalier Noir pour le grand écran ? Il est évident qu’aucune réponse ne va de soi et que chaque itération de la star de DC Comics offre son lot de défenseurs et détracteurs (même si les fans de la version ‘’George Clooney’’ se font plus rares). Mais entre l’approche gothique d’un Tim Burton, les envolées kitsch et flashy d’un Joel Schumacher et l’ancrage réel post 11 septembre adopté par un Christopher Nolan, il demeure une adaptation plus méconnue et paradoxalement régulièrement citée comme l’une des plus belles réussites en matière de transposition cinématographique du personnage créé par Bob Kane et Bill Finger. Il est donc grand temps de (re)mettre en lumière ce joyau de l’animation qu’est Batman contre le fantôme masqué, sorti fin 1993 aux Etats-Unis et un an plus tard en France.

Sympathy for the abyss

Batman The Killing joke
A la fin des années 80, Batman connait un véritable engouement de la part du public, porté par le succès planétaire du film de Tim Burton. Ce dernier a fait le choix d’un ton résolument sombre, inspiré des travaux respectifs de Frank Miller et d’Alan Moore pour les comics The Killing Joke et The Dark Knight returns (DKR), publiés quelques années plus tôt. Deux œuvres graphiques qui proposaient une vision très torturée du personnage, questionnant sans cesse les ressorts moraux du justicier masqué. Rappelons que dans l’inconscient collectif de l’époque, Batman est encore associé à l’image colorée et kitsch véhiculée par la série des années 60 portée par Adam West.

Le film de Burton permet donc de renouer avec une approche du personnage plus ambigüe et donc plus proche de l’écriture de Bill Finger, telle qu’on la trouve à la fin des années 30. Avec 411 millions de dollars de recettes à travers le monde, l’équation s’avère payante et tout semble sourire au héros de Gotham. Warner Bros ne tarde pas à lancer la production d’une suite, toujours réalisée par Burton. En parallèle, le studio donne également le feu vert pour la conception d’une série d’animation autour du personnage et chapeautée par la branche Warner Bros Animation. Le résultat est diffusé sur le réseau Fox Kids pour la première fois en 1992 et s’intitule sobrement Batman, la série animée.

Co créée par le duo Bruce Timm et Eric Radomski, la première saison de Batman connait un succès immédiat. Si elle reprend certains aspects du film de Burton (dont son générique, une version réorchestrée du score de Danny Elfman), la série parvient très rapidement à trouver sa propre identité. De la richesse de l’animation au développement de personnages complexes (la motivation de certains méchants comme Mr Freeze tient du drame absolu), tout concourt à faire de la série un modèle d’écriture et de mise en scène qui sera salué par la critique et le public dès sa première diffusion outre-atlantique. Un accueil dithyrambique qui pousse les cadres du studio commander à l’équipe créative de la série une nouvelle saison et un long-métrage issu de la série pour patienter, initialement prévu à destination du marché vidéo. Timm et Radomski n’en sont pas encore conscients, mais la production du film va s’apparenter à une véritable course contre la montre…

Let’s talk about love

Batman
Premier défi : trouver la bonne histoire à raconter. La durée du long-métrage donne aux réalisateurs et scénaristes des perspectives plus qu’excitantes pour explorer plus en profondeur la psyché de Bruce Wayne/Batman, et ainsi s’affranchir des contraintes imposées par le format sériel. Construite sur une base d’épisodes plus ou moins indépendants les uns des autres, la série adoptait une structure assez classique dans laquelle Batman se retrouvait confronté chaque semaine à une nouvelle enquête dont on suivait la progression jusqu’à sa résolution, souvent sous forme d’affrontement avec le méchant hebdomadaire. Souhaitant capitaliser sur sa galerie de vilains iconiques, le scénariste Alan Burnett (déjà à l’œuvre sur la série) envisage dans un premier temps une histoire dans laquelle Batman se verrait capturé par les criminels qu’il a lui-même enfermé à l’asile d’Arkham. S’en suivrait un procès dans lequel les bad guys de Gotham accuseraient l’homme chauve-souris d’être à l’origine de ce qu’ils sont devenus. Un parti pris ambitieux, en cohérence totale avec l’un des motifs récurrents de la psychologie du personnage, à savoir la ligne poreuse qui sépare Batman de ceux qu’il combat. Jugée trop statique pour tenir sur la longueur, l’idée est abandonnée, mais sera reprise dans la saison 2 comme trame principale de l’épisode Procès.

Burnett se remet donc au travail, toujours décidé à sortir des sentiers battus et proposer un arc narratif encore jamais traitée dans la série. Il évoque alors sa volonté de raconter une histoire d’amour du point de vue de Bruce Wayne. L’opportunité de se pencher, selon lui, sur un aspect du personnage rarement mis en avant (la relation avec Selina Kyle / Catwoman étant traitée de manière plus triviale dans la série). L’idée séduit l’équipe créative qui se met alors à plancher sur un scénario construit autour de flashbacks, permettant à la fois de faire la continuité avec la série (les scènes du présent se déroulent dans la même temporalité que la première saison) et revenir sur la mythologie du personnage en offrant une semi origin-story.

Citizen Wayne

Batman
Ce qui frappe avant tout, à la découverte de Batman contre le fantôme masqué, c’est la qualité indéniable de son écriture. Car si le scénario parait d’abord s’inscrire dans un prolongement évident de la série – Batman enquête sur un mystérieux tueur masqué qui élimine, un par un, d’éminents membres de la pègre de Gotham – il s’en détache rapidement pour aborder en filigrane les blessures intimes de Bruce Wayne. Dans un habile jeu de retours en arrière, on découvre ainsi progressivement les débuts du jeune millionnaire orphelin, encore au stade de la réflexion sur la manière dont il pourrait combattre le crime qui sévit à Gotham et ainsi honorer le serment prêté sur le tombeau de ses parents. Sa détermination sera ébranlée par sa rencontre avec Andrea Beaumont, magnifique jeune femme dont il va très vite s’éprendre.

Empreint de cinéphilie – la structure narrative est largement empruntée à celle de Citizen Kane – l’intrigue mêle présent et passé dans une atmosphère mélancolique qui sied parfaitement aux états d’âmes de son héros. Le script (écrit à 4 mains par Alan Burnett, Paul Dini, Martin Pasko et Michael Reaves) a l’intelligence d’embrasser à la fois les fondements mythologiques connus et acquis (l’assassinat des parents de Bruce, à la base de toute la construction psychologique de ce dernier) et de l’agrémenter d’éléments fictionnels non canon mais qui s’intègrent au récit avec une fluidité déconcertante. Non seulement, ce choix permet d’offrir une relecture audacieuse d’une histoire connue par tous, mais ces éléments scénaristiques vont en plus venir renforcer la dimension tragique du destin du personnage. Rarement la représentation des traumas de Bruce Wayne aura atteint une telle puissance symbolique. Rarement les événements qui le conduiront à enfiler le costume de chauve-souris n’auront paru aussi évidents.

L’introspection à laquelle se prête Batman rappelle constamment au spectateur l’impossibilité pour Bruce Wayne d’échapper à son destin de justicier. Les souvenirs dans lesquels le héros se perd de longues minutes sont d’entrée de jeu présentés comme synonymes d’un paradis perdu où tout semblait encore possible (le jardin ensoleillé dans lequel flirtent les futurs amants, une exposition optimiste sur les possibilités technologiques futures…). Pour autant, ces réminiscences s’achèvent systématiquement par un événement qui dénote (l’orage qui conclue la première rencontre entre Bruce et Andréa, l’agression dont est victime Bruce au sortir de l’exposition futuriste…) et semble sceller le devenir d’un jeune homme condamné à une vie loin du bonheur auquel il aspire. En découle des enjeux émotionnels déchirants qui atteignent leur apogée lors d’une scène où Bruce supplie ses parents de le démettre de son serment, illustrant la dualité insupportable qui anime le personnage.

Noir c’est noir

Batman
Impossible d’évoquer la qualité d’écriture du long-métrage sans faire mention du travail d’orfèvre accordé à l’animation, tant ici fond et forme se répondent brillamment. Le film a bien évidemment pu compter sur une équipe d’animateurs déjà présents sur la série, donc aguerris et rompus à l’exercice. On n’est donc pas étonnés de retrouver la patte si particulière du show, faisant la part belle aux ambiances sombres, dans un Gotham inspiré du style Art Déco (baptisé « Dark Déco » par les réalisateurs). L’esthétique de pur film noir dans lequel baigne l’histoire offre un écrin idéal à cette enquête sur fond de meurtre perpétré au sein de la mafia.

Un soin qu’on retrouve également dans les choix de caractérisation graphiques des nouveaux personnages. D’abord avec Le fantôme du titre (Phantasm dans sa version originale, dont on préférera la portée évocatrice) ; sorte d’ange exterminateur inspiré du personnage du Faucheur (créé pour le comic-book Year Two) et véritable négatif de Batman. Sa figure imposante est cachée sous un masque en métal, une tenue noire et un crochet en guise de main. Son allure mortifère, conjuguée avec une voix très travaillée, le place sans conteste dans le panthéon des méchants les plus mémorables du lore.

Créée spécialement pour le film, Andrea Beaumont possède, elle, tous les atours de la femme fatale, telle que représentée dans l’Hollywood des années 40 (De l’aveu de Bruce Timm, Lauren Bacall est la principale source d’inspiration pour le look du personnage). Entre ombre et lumière, sa première apparition ne laisse entrevoir qu’une bouche peinte de rouge et le début d’une chevelure rousse incendiaire. Un plan d’une cinégénie folle qui annonce à lui seul les enjeux et le mystère qui entourent un tel personnage, qu’on devine instantanément aussi fascinant que dangereux. Dans un univers aussi masculin que celui de Batman, la série animée, on pouvait craindre une approche archétypale pour ce type de protagoniste. Là encore, il faut saluer la subtilité de l’écriture qui offre à Andrea un traitement aussi fort que celui de Bruce, ne tombant dans aucun des écueils évidents. En clair, il ne s’agit ni du faire valoir amoureux superficiel, ni de la garce duplice.

Etreintes brisées

L’homogénéité qui émane de l’ensemble du film force donc la plus vive admiration, tant le projet semble avoir été porté avec le plus grand soin à tous les niveaux et un respect infini envers l’œuvre originelle. Un résultat d’autant plus remarquable lorsqu’on sait que le studio a changé son fusil d’épaule en plein cours de la production, imposant aux réalisateurs une sortie cinéma, tout en conservant les délais initialement impartis pour terminer le film. Un choix qui pose un immense problème technique, les animateurs devant adapter en catastrophe pour un écran de cinéma tous les dessins déjà conçus (la série était développée pour un format 4 : 3 télévisuel, la salle nécessite quant à elle un élargissement en 16 : 9). Il faut avouer que ce changement de cap se ressent cruellement dans une poignée de séquences où les arrières plans (souvent pour des gros plans) apparaissent nettement plus pauvres en détails et textures que sur le reste du long-métrage.

Batman
Cette production accélérée aura également des conséquences sur la sortie du film en salles. Si la date du 25 décembre sera maintenue jusqu’au bout, Warner assurera le service minimum en terme de marketing, ne sachant probablement pas comment vendre un film qui n’a rien du divertissement de Noël familial et ne lésine jamais sur la représentation de la violence, qu’elle soit symbolique (les morts hors-champs) ou graphique (les personnages souffrent physiquement et saignent, contrairement à la série). Verdict : un peu moins de 6 millions de dollars récoltés aux USA pour 6 millions de budget. C’est peu, surtout en comparaison des scores réalisés par les versions live de Tim Burton (même si le succès de Batman, le défi était déjà vécu comme un semi échec de la part de la Warner). Il faudra attendre la sortie de l’édition vidéo quelques mois plus tard pour que le film bénéficie d’une nouvelle vie (les ventes VHS permettront de finalement rentabiliser le film) et offrir à ce Batman le succès qu’il méritait.

Complexe, subtil et techniquement maitrisé : les superlatifs ne manquent pas pour décrire Batman contre le fantôme masqué, œuvre miraculeuse et miraculée qui a su dépasser le statut de produit dérivé bâclé auquel elle semblait destinée. Un bijou d’animation qui parvient à sublimer la mythologie qui le précède et l’emmener sur le terrain de la pure tragédie, provoquant chez le spectateur une onde de choc émotionnelle d’une puissance rare. De là à affirmer qu’il s’agit de la meilleure adaptation de Batman jusqu’à aujourd’hui, il n’y a qu’un pas que nous franchissons avec plaisir.


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