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ALAIN CAVALIER | Interview

Nous avons rencontré Alain Cavalier de passage à Lyon pour une projection exceptionnelle de Thérèse à l’occasion de la programmation au théâtre des Célestins de La Peur, pièce de François Hien largement inspirée du film. Le poids du temps ne semble pas avoir de prise sur ce jeune nonagénaire qui s’émerveille de voir une salle pleine, contrôle la qualité du son avant de sacrifier au rituel d’une courte séance photo pendant laquelle, devant une affiche de Tromperie, il s’amuse d’une pose avec Léa Seydoux. Des questions courtes s’il vous plaît, précise t-il avant de commencer, on ne délaye pas. Une interview debout d’un homme qui gratifie l’atmosphère d’un délicieux parfum de légèreté.

35 ans après la sortie du film, vous continuez d’accompagner Thérèse. Diriez-vous qu’elle est devenue une des femmes de votre vie ?

Alain Cavalier : Non. Le film appartient à Catherine Mouchet. Le film EST Catherine Mouchet. Quand j’ai eu le courage de revoir le film, j’ai constaté Catherine Mouchet. Je suis là pour faire état de son existence et c’est largement suffisant.

Le film est-il accueilli différemment aujourd’hui ?

Les réflexes sont toujours les mêmes. Il y a les « thérésiens » véritables et ceux qui découvrent ce monde de femmes qui s’enferment pour mieux communiquer avec le reste de l’humanité, ce qui est une chose un peu particulière à avaler. Mais tous sont sous le charme absolu de Catherine Mouchet. Ce qui n’était pas le cas au moment du tournage. C’est un effet tardif qui nous est arrivé quand on a vu le film terminé.

Il ne me semble pas que Catherine Mouchet ait accompagné cette reprise ?

Elle ne l’a pas souhaité. Elle a eu à l’époque quelques difficultés avec le public très croyant. Des gens s’approchaient d’elle dans la rue et la touchaient comme pour lui prendre de l’énergie et sans doute guérir de quelque chose.

Le rôle l’a-t-elle poursuivie ?

Non mais elle n’a pas reçu beaucoup de propositions de premiers rôles. Elle a beaucoup travaillé au théâtre et quand elle apparaît au cinéma, elle est merveilleuse.

C’est précisément au théâtre que vous l’avez découverte.

Oui, je l’ai vue au Conservatoire d’art dramatique à Paris où elle était élève. Je l’ai vue, assise sur le sol avec un ballon entre les jambes. Elle jouait la mort de Mouchette – œuvre tirée d’un roman de Bernanos dont Robert Bresson a réalisé une adaptation – qui se suicidait en se jetant à l’eau. Et là, l’affaire était faite !

Les trois-quarts des choses qui m’intéressent, je ne peux pas les filmer.

Vous filmez avec beaucoup de beauté les objets usés, les marques du temps. Mais les films, eux, doivent être restaurés. N’y aurait-il pas là presque un paradoxe ?

Un pot de gré, ça peut durer 2000 ans, alors que la pellicule, ça s’évapore. J’ai fait 30 ans d’argentique, dont les négatifs sont très costauds et maintenant le numérique est très volatile. On ne sait pas si dans 30 ou 50 ans, nos films existeront toujours. Il y a d’ailleurs une loi qui exige de transférer le numérique en négatif, parce qu’on sait que ça peut durer 100 ans.

Thérèse ne vieillira jamais. Est-ce qu’elle vous fascine pour ça également ?

Ce qui m’a fasciné en effet c’est qu’elle meurt à 24 ans, donc l’histoire est parfaite. C’est une sorte de Dame aux camélias du couvent. Elle est tuée par la tuberculose. J’ai vu ma tante mourir de cette maladie, c’était pas rigolo, avant la pénicilline.

D’elle, il ne reste qu’un éclat.

Cette pauvre fille a vécu dans l’ombre totale, elle a simplement écrit son petit journal, sur ordre de la mère supérieure qui la trouvait exaltée et qui pensait que ça la calmerait un peu. Le journal a été publié* et a connu un succès mondial incroyable.

Il y a dans toute votre filmographie des rendez-vous cachés, avec Bernard Crombey, Yves Pouliquen ou d’autres. Où vous situez-vous dans cette famille constituée au fil du temps ?

Ce sont des gens que je rencontre, qui font partie de ma vie, qui ont en général des métiers très précis que je filme. L’amitié qui nous lie fait un film aussi et le cinéma en profite je crois.

Au milieu de cette famille, on trouve un bestiaire, majoritairement constitué de chats et d’oiseaux. J’ai une théorie selon laquelle vous êtes les deux, la patience du chat et la légèreté de l’oiseau.

Je suis filmeur, dès qu’il se passe quelque chose dans la vie qui est intéressant, je filme. Il faut que je surveille tout, tout le temps. Quand je sors ma caméra, c’est qu’il y a une petite histoire en route. Je suis attentif à tout, je vis à 400 à l’heure et quand ça se débloque j’entre très légèrement en transe mais il faut que je reste aux aguets.

C’est la patience du chat.

Voilà ! Je préférerais être un oiseau, je serais en hauteur, un peu invisible et pourrais filmer tranquillement. Je me mettrais sur un balcon, la nuit, puis je filmerais ce qu’il y a à l’intérieur, ce serait l’idéal. Les 3/4 des choses qui m’intéressent, je ne peux pas les filmer.

Avez-vous filmé vos parents morts dans l’espoir de quitter l’enfance ?

J’ai filmé mon père mort parce que c’était une tentation monumentale. Toute la famille était dans la maison, je suis descendu la nuit avec ma caméra et je suis arrivé à le filmer. Après ça, l’idée de filmer un acteur qui fait le mort ma paraissait absolument grotesque. J’avais filmé un vrai mort qui était mon père ! Cinématographiquement, ça c’est intéressant.

Vous êtes, dans vos films, à la fois observation et présence, notamment par la voix. Celle-ci s’est adoucie depuis Ce répondeur ne prend pas de message, en êtes-vous conscient ?

Pour le Répondeur, il y a avait une tension en lien avec la mort de ma première femme. J’étais très tendu. Depuis ma voix s’est assouplie, elle est aujourd’hui plus naturelle, c’est exact.

Vous vous êtes affranchi de presque toutes les contingences liées à un tournage. Vous filmez le temps qu’il faut. Quand savez-vous que vous avez suffisamment de matière pour un film ?

Le gros problème c’est que je filme la vie et qu’elle ne s’arrête jamais. Il faut chercher une fin pour que le spectateur, quand la lumière se rallume, puisse se dire qu’il a vu quelque chose d’un peu rond. Il faut attendre un moment de la vie qui dénoue le film. Mais on n’a jamais une belle fin de film de fiction, travaillée pour que le spectateur soit heureux et libéré.

Claude Sautet, à qui vous avez consacré une très originale oraison funèbre dans Le Filmeur, n’a cessé de retravailler les montages de ses films. Y a-t-il des plans ou des séquences que vous voudriez retrancher des vôtres ?

Je n’ai pas touché à Thérèse. Les défauts font partie des qualités d’un film. Chez une belle femme, il y a toujours un défaut, sinon elle n’est pas belle, elle est ennuyeuse. Il faut laisser les défauts.

Êtes-vous à l’affût d’une image manquante ?

Oui et non. Je tourne un film depuis un an, en cherchant quelque chose qui est au fond de mon cerveau, que je ne connais pas et que je n’ai pas encore filmé. C’est un drôle de boulot, je suis toute la journée à l’affût. Je vous regarde (il s’adresse à Pauline qui assiste à l’entretien – ndlr) et je me demande si je ne vais pas vous faire entrer dans mon film… Ce n’est pas une blague ! Je cherche, je mets bout à bout puis je vois le montage régulièrement et à chaque fois la moitié de ce que j’ai tourné retombe. Je dois avoir une vingtaine de minutes, il faut que je fasse, au minimum quatre-vingts.

Il ne s’agit donc pas d’une image précise ?

Non. Je n’ai pas de but. Je cherche. Mettre un plan à côté d’un autre, c’est très difficile et c’est l’enchaînement qui compte. L’ensemble vient tout seul ou ne vient pas. Mais je n’ai pas de but.

Le gros problème, c’est que je filme la vie et qu’elle ne s’arrête jamais.

Nous sommes à Lyon, deux questions en rapport avec la ville. Quand vous revenez ici, repensez-vous à cette après-midi d’attente racontée dans La Rencontre ?

Ah oui ! C’était terrible, terrible. C’était à l’Hôtel de Perrache qui s’appelle maintenant Le Château Perrache, ça ne s’appelait pas du tout comme ça à l’époque. Et c’est là où (Klaus) Barbie torturait en plus.

C’est précisément la seconde question. Nous sommes en face du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation. Vous avez filmé Les Braves, et souvent évoqué la mémoire de cette période. Est-ce que l’actualité vous attriste, vous effraie ou vous met en colère ?

Pas du tout, ça m’amuse énormément ! Je suis à la fin de ma vie, j’ai tout vu, donc ça me fait rigoler. En même temps, je distingue bien les gens sincères des petits salopards du jour.

Votre démarche est si singulière qu’on peine à vous inscrire dans une famille de cinéma. Je voudrais vous citer deux films qui me semblent s’en rapprocher. Le dernier film de Jean-Daniel Pollet, Jour après jour

Absolument ! Pollet faisait un cinéma très très intéressant mais il se croyait obligé de citer les poètes. J’avais envie de lui dire, tu nous suffis largement.

… et un très récent, Le Kiosque d’Alexandra Pianelli.

Je la connais très bien. C’était mon kiosque, quand j’avais 30 ans, Place Victor Hugo, tenu par sa grand-mère puis sa mère. Elle a trouvé un vrai point de vue de cinéaste et elle raconte la fin du papier, c’est un fait de civilisation phénoménal. Elle a été très soutenue par la critique qui a été sensible à ce sujet.

Et elle fait un hommage direct à La Rencontre avec l’histoire du pisse-debout acheté pour palier l’absence de toilettes

Mais absolument ! Oui, dans La Rencontre, avec la bouteille coupée en deux (rires).


Propos recueillis et édités par F-Xavier Thuaud pour Le Bleu du Miroir


Remerciements : cinéma Le Comoedia pour son accueil, Pauline de Boever (Cosmos) et au Collectif Météorites.
Crédits photo : FX-Thuaud / Le Bleu du Miroir



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