LES CAMARADES
A la fin du XIXème siècle, dans une fabrique textile de Turin, les ouvriers, soumis à un rythme de travail infernal, voient se multiplier les accidents. Trois d’entre eux entrent en conflit avec le contremaître à la suite d’un nouveau drame. Il est alors décidé, en guise de protestation, que tous partiront une heure plus tôt ce soir-là.
CRITIQUE DU FILM
Tourné en 1962 par Mario Monicelli, sur un scénario du célèbre et prolifique duo de scénaristes italiens Age-Scarpelli (pseudonyme sous lequel travaillaient conjointement Agenore Incrocci et Furio Scarpelli), Les Camarades appartient au genre de la comédie italienne, même si le fond dramatique l’emporte souvent sur les notes d’humour.
L’histoire se déroule à Turin, à la fin du XIXᵉ siècle. Les ouvriers d’une usine de textile y vivent dans une pauvreté extrême et des conditions de travail éprouvantes. Obligés de trimer quatorze heures par jour et ne disposant que de trente minutes de pause déjeuner, ils s’épuisent à la tâche, avec un risque accru d’accidents, favorisés par la fatigue et l’inattention. Un jour, l’un des ouvriers se fait broyer le bras dans une machine. Décidés à faire front et à réclamer de meilleures conditions, notamment des horaires plus souples — travailler treize heures au lieu de quatorze —, les ouvriers, faute d’organisation et de cohésion lors d’une tentative de cessation anticipée du travail, essuient un échec cuisant. Les sanctions infligées à certains finissent de les diviser et incitent à la résignation.
C’est alors qu’arrive en ville un professeur (interprété par Marcello Mastroianni), activiste itinérant pourchassé par la police. Cet homme, qui conseille les salariés souhaitant faire grève, va remobiliser les ouvriers de la fabrique de textile.

Mario Monicelli, aux convictions fermement ancrées à gauche, s’est inspiré d’une histoire vraie : une grève très dure survenue en Italie à la fin du XIXᵉ siècle. Lorsque le film est tourné, l’Italie connaît de fortes tensions sociales — notamment des grèves chez Fiat. Les Camarades, sans doute le plus beau film de son réalisateur, ou du moins celui dont il était le plus fier, permet d’évoquer le passé tout en se positionnant dans le présent des années 1960, particulièrement tendues. La description des conditions de vie des ouvriers, très détaillée et fondée sur un long travail de recherche, confère à l’œuvre un cachet d’authenticité. Ce réalisme est renforcé par un noir et blanc charbonneux qui lui ajoute une patine historique.
La complexité des situations et la difficulté d’en sortir sont remarquablement rendues, tandis que les personnages sont dessinés avec finesse et profondeur. Le professeur, venu éveiller les consciences, suscite d’ailleurs des interrogations : est-il mû par l’altruisme ou par la victoire de ses idéaux, quitte à mettre en danger les ouvriers ? Cet intellectuel, déconnecté des réalités, mesure-t-il les risques de son engagement ? Apparemment timoré, il se révèle pourtant capable de galvaniser une foule hésitante.
Renato Salvatori et Bernard Blier, dans des rôles d’hommes révoltés mais différents, livrent de très belles interprétations, pleines de doutes et de revirements d’êtres tiraillés entre rébellion et besoin de sécurité. Annie Girardot, lumineuse et sensible, incarne une femme ayant préféré la prostitution — et le jugement social qui l’accompagne — à l’usure précoce du travail en usine.

Si Les Camarades parle de solidarité, il évoque aussi la solitude, sous plusieurs formes : celle du « sarrasin » (en réalité un Sicilien émigré dans le Nord, encore plus démuni que ses collègues) ou celle du professeur, condamné par son engagement à une vie itinérante, sans foyer.
Ce film de Mario Monicelli ne fut pas particulièrement bien accueilli à sa sortie, essuyant un échec critique et public. Il demeure pourtant l’une des grandes réussites de son auteur, tant sur le plan plastique que narratif. Humaniste et plein d’espoir malgré la dureté des situations, Les Camarades reste une œuvre profondément universelle et intemporelle.






