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THE SHADOWLESS TOWER

Gu Wentong, célibataire endurci vit seul. Il rencontre la jeune photographe Ouyang Wenhui à son travail. Par accident il a des nouvelles de son père, disparu de sa vie depuis plus de 40 ans. Avec le soutien de cette nouvelle amie, Gu Wentong décide de confronter son père et d’essayer d’avoir enfin une relation père fils avec lui.

Critique du film

A soixante ans, Zhang Lu a déjà une longue filmographie qui s’étend sur trois décennies, mais aussi sur plusieurs territoires. Cette notion est particulièrement signifiante chez ce cinéaste tellement il n’a de cesse d’investir ses histoires dans de nouveaux endroits, y injectant la pluralité de ses origines. En effet, chinois d’origine coréenne, il s’est fait connaître en Corée du sud avec des films comme Grain the ear (2005), où l’on retrouvait ce questionnement autour de la diversité des cultures, ou plus récemment Ode to the Goose (2018) qui multipliait les personnages et le déplacement comme moteur du récit. The Shadowless tower est tel une somme du cinéma de Zhang Lu, qui concentre son regard sur la ville de Beijing, pour mieux faire un pas de coté et s’intéresser au déracinement d’une famille.

Le titre du film montre un objet insolite au cœur de la capitale chinoise : une grande tour blanche qui dénote au milieu d’une architecture qui, selon les mots du cinéaste, est plus connue pour sa couleur grise et une architecture toute en angles droits, bâtie selon un plan d’une précision qu’on retrouve dans certaines cités de l’ex Union soviétique. Cette tour occupe le centre de l’espace du quartier filmé par Zhang Lu, mais il en est aussi d’une certaine manière la métaphore. Les personnages du film sont écrits comme des reflets, chacun étant une copie des autres, le fils devenant le père, les solitudes se faisant écho pour s’associer, ici Gu Wentong et Ouyang Wenhui. Plus qu’une romance, leur relation est la rencontre de deux errances, dont on vient même à questionner l’existence.

On retrouve ici tout le talent d’écriture de l’auteur qui brillait particulièrement dans Geoyongju (2014), film inédit en France qui narrait l’arrivée dans la ville éponyme d’un homme qui pourrait avoir le même âge que Gu Wentong, et qui lui aussi rencontrait lieux et territoires pour s’y fondre, voire y disparaître. La quête du père dans The Shadowless tower semble pourtant un fait tangible, matérialisé par une note inscrite sur un morceau de papier, transmis par le beau-frère du protagoniste. C’est la transmission de ce secret qui déploie tous les échos narratifs qui vont suivre, la passion pour le cerf-volant, les discussions rêvées ou imaginées et un certain chevauchement des discussions qui voient des personnages être escamotés, notamment les deux personnages principaux qui finissent par s’évaporer, comme relâchés dans l’éther une fois leur histoire racontée.

Si ce mille-feuille narratif peut paraître déroutant, et représenter en cela une limite à l’adhésion complète au film, il constitue pourtant la patte reconnaissable du style de ce cinéaste unique et son univers poétique si particulier. Certes, le film est un peu long, plus de 2h10, mais il est très agréable de se perdre dans ses pensées vaporeuses et les rues de Beijing, tout juste troublées par des incartades sur le littoral chinois pour quitter l’urbain et se tourner vers la mer. Que ce soit en Chine, en Corée ou au Japon (avec le très beau Fukuoka réalisé en 2019), Zhang Lu prouve avec ce nouveau film tout le talent qui habite ses propositions de cinéma si singulières, et donc si précieuses.

De Zhang Lu, avec Yao Huang, Qinqin Li et Siqin Gaowa.


Présenté en compétition à la Berlinale 2023




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