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MANODROME

Ralphie est un chauffeur VTC et aspirant bodybuilder. Il se voit intronisé dans un culte de la masculinité libertaire et perd son emprise sur la réalité lorsque ses désirs refoulés sont réveillés.

Critique du film

Après avoir crapahuté dans les vallées sud-africaines en 2017 avec Les initiés, John Trengove rejoint les Etats-Unis et Jesse Eisenberg, pour prolonger son regard sur la masculinité et sa supposée crise. C’est autour du personnage de Ralphie qu’il construit son histoire, un futur père luttant contre ses démons et ses traumatismes, littéralement au bord de la dépression. Bouffi d’anxiété et de soucis personnels, ce jeune homme dégage un sentiment d’insécurité qui ne fait que monter crescendo à chaque scène. L’auteur multiplie les pistes pour brosser un portrait de névrose insoutenable qui débouche inévitablement sur le drame et la violence. Le problème de Manodrome est simple : à vouloir mettre trop d’ingrédients dans son histoire, le cinéaste l’étouffe et lui fait perdre toute consistance, jusqu’à un dégoût qui vire même parfois au grand-guignol.

Ralphie est donc « un homme en crise », il a perdu son emploi, gère mal ses angoisses et les frustrations du quotidien, et, fatalement, fait de mauvaises rencontres. Un ami de son club de sport, une usine à corps gonflés et surprotéinés, lui présente « Dad » Dan, escorté par une troupe d’hommes qu’il semble commander de son autorité troublante. Ce groupe se révèle rapidement être un rassemblement masculiniste replié sur lui-même, rejetant toute ingérence des femmes et les désignant comme les immondes castratrices, cause de tous les maux des hommes occidentaux privés de leur superbe originelle. Ce tableau d’une grande caricature n’est pourtant qu’un début, Ralphie perdant tout contrôle, que ce soit dans sa vie privée, où il abandonne sa femme enceinte de 8 mois, ou dans son orientation sexuelle remise en cause par une supposée attirance avec un membre de son club. La superposition de ces thématiques, qui se succèdent sans qu’on ne comprenne bien comment ni pourquoi, fait perdre absolument toute cohérence à la trame narrative.

Manodrome

Pourquoi Ralphie quitte-t-il la communauté des hommes qui vient de l’adouber ? Pourquoi ensuite cède-t-il aux avances de son camarade de sport ? Et enfin, pourquoi devient-il meurtrier, tout cela on ne le comprend pas tellement la succession se fait sans crier gare et sans aucune logique interne au récit. Jesse Eisenberg joue Ralphie d’une manière tellement monolithique que le personnage semble englué dans un état au-delà du malaise, ne provoquant que de la peur et du dégout à chaque scène. Si Adrien Brody, souvent excellent dans sa carrière, insuffle une facette calme et manipulatrice en « Dad Dan », il ne parvient à aucun moment à apporter suffisamment de qualité à un attelage en perdition totale.

Quelques pistes sont pourtant intéressantes, comme la place de l’argent dans cette logique masculiniste où la perte de pouvoir et d’identité sont en permanence soulignées, mais cela ne reste qu’au stade de l’esquisse et non sous la forme d’un propos développé et ramifié avec le reste des problématiques qui foisonnent à chaque coin du scénario. Le comble du ridicule intervient même avec l’apparition de Gheorge Muresan, géant roumain et ancienne star du basket européen et américain, chargé de révéler que ce dont Ralphie avait besoin était d’une petite chanson douce pour le bercer et l’aider à dormir.

Le discours lui-même autour des communautés masculinistes n’est pas sans ambiguïtés, le propos et le point de vue n’étant jamais clairs, entre dégout et fascination. On ne peut guère sauver qu’Odessa Young, qui se débat pour exister dans ce film de mâles où on ne lui laisse bien peu de place pour apparaître et apporter un contre-poids qui aurait pourtant été le bienvenu.

De John Trengove, avec Jesse Eisenberg, Adrien Brody et Odessa Young.


Présenté en compétition à la Berlinale 2023




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