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THE POWER OF THE DOG

Montana, années 20. Phil Burbank est un homme dominateur, brutal. Avec son frère George, bien plus doux et sensible, il est à la tête d’un des plus grands ranchs de la vallée. Lorsque George y installe sa nouvelle épouse, Rose, une veuve, et son fils Peter, Phil révèle toute sa cruauté.

Critique du film

Après un détour par la série, Jane Campion revient au cinéma, 12 ans après l’éblouissant Bright Star en adaptant le roman éponyme de Thomas SavageLes frères Burbank font prospérer le ranch dont ils ont hérité. Nous sommes dans les années 20, au milieu des paysages majestueux de l’Ouest américain. Phil et George ne peuvent pas être plus dissemblables. L’un est sec, brun et crasseux, l’autre est replet, blond et propret. Entre divergences et intérêts communs, se détestent-ils vraiment ? Campion, installe une première tension, conventionnelle, dont elle ne va pas tarder à tirer un suc plus singulier, qui va prodiguer sa mystérieuse influence au long des cinq chapitres qui balisent le récit.

Entrent bientôt en scène, deux nouveaux personnages, accentuant la distance entre Phil et Georges. Rose, veuve triste mais pas sans charme et son fils Peter, échalas à la culture livresque et talentueux fabricant de fleurs en papier. Autant dire un personnage exogène à la forme classique du western. Lorsque George épouse Rose, voilà les quatre réunis sous le même toit. Ou comment transformer un ranch en volcan. Campion regarde ses personnages tisser leur propre toile dans un environnement grandiose dont le format scope décuple la puissance. Le drame qui se noue dans la maison trouve de fausses respiration au-dehors. Les plans de nature sont sublimes (travail étincelant de Ari Wegner, directeur de la photographie) mais aussi porteurs d’une inquiétude presque tellurique. 

La rivalité entre les frères se joue désormais entre les mains de Rose et Peter dont les réactions, face à l’acrimonie et aux provocations de Phil, offrent plusieurs pistes au récit. Alors que Rose noie son manque de confiance en elle dans l’alcool, Peter manifeste une résistance inattendue, au point de déstabiliser Phil qui décide brutalement d’enterrer la hache de guerre. Les deux hommes se rapprochent. Peter découvre le jardin secret de Phil (dont le premier bain offre un plan spectral, à la surface de l’eau, qui fait curieusement écho à un plan du Colonel Kurtz dans Apocalypse Now ; on veut y voir la malice de Jane Campion, jouant avec la figure de Marlon Brando, acteur de l’ambiguïté), alors que Phil discerne les ressources de Peter. Le film bascule alors dans une dimension homo-érotique qui renferme en elle-même sa propre menace.

The power of the dog

Film d’observation des discordances, The Power of the Dog est aussi un très grand film musical. La bande originale, signée Jonny Greenwood, est d’une rare puissance. Le rythme quasi tribal qui accompagne le générique introduit l’idée d’une douleur enracinée. Les violons semblent avoir du mal à s’accorder par la suite avant que les cuivres ne viennent souligner l’épaisseur du trouble. Enfin ce sont des nappes atmosphériques qui donnent au drame son ampleur. La musique diégétique, hormis un air de country qui ouvre le quatrième acte, indique elle-même davantage les désaccords que l’harmonie. Rose a été pianiste de cinéma. George fait livrer un demi-queue pour leur plaisir commun (troublante scène de livraison où apparaît, dans un premier temps, une forme de cercueil) mais l’inexorable mélancolie qui l’assaille aura raison de la musicienne. Chacun saura que, devant la caméra de la néo-zélandaise, le destin d’un piano n’est pas une simple péripétie. Enfin notons également, le peigne que Peter fait grincer machinalement, comme pour en aiguiser les dents.

Qu’on rassure les admirateurs de Jane Campion, la réalisatrice, récipiendaire cette année du Prix Lumière, n’a pas perdu la main. Elle insuffle avec The Power of the Dog une inattendue modernité au genre du western tout en situant le film dans une absolue cohérence avec sa considérable filmographie quand bien même ce sont des hommes qui occupent le devant de l’écran pour la première fois. Elle est toujours une grande directrice d’acteurs. Jesse Plemons (Je veux juste en finir) et Benedict Cumberbatch (Imitation game) sont l’eau et le feu, le second livrant une interprétation en clair-obscur d’une sensibilité effarante. Faut-il voir un jeu sur leur silhouettes, qui évoquent de manière troublante Philip Seymour Hoffman et Daniel Day Lewis (tendance There Will be Blood) pour caractériser immédiatement leurs personnages ? Kirsten Dunst rappelle, à qui l’aurait oubliée, qu’elle est toujours une grande actrice dont le bleu délavé des yeux peut refléter une insondable détresse. Quant à Kodi Smit-McPhee (il était le fils de Viggo Mortensen dans La Route de John Hillcoat, pendant que Jane Campion tournait Bright Star), il impose au fil du film une présence confondante.

L’irrésistible beauté du film recèle une puissance dramatique que seule l’immensité des paysages du Montana semble pouvoir contenir. Jane Campion détricote patiemment les codes du western pour tirer son film, telle une chaman, vers un envoûtement. The Power of the Dog se goûte comme un élixir de cinéma. D’une maîtrise remarquable, le film, dans toutes ses composantes (format scope, photographie, décors naturels, prépondérance de la musique) est dimensionné pour le grand écran. Hélas, il ne sera vu, mis à part quelques séances de festivals, que sur des écrans domestiques. Il y a décidément quelque chose de profondément malade au royaume de la production cinématographique. 

Bande-annonce

1er décembre 2021 (Netflix) – De Jane Campion, avec Benedict CumberbatchKirsten DunstJesse Plemons


Présenté au festival Lumière 2021


 




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