featured_My-Name-is-Gulpilil

MY NAME IS GULPILIL

Arraché au bush australien alors qu’il n’était qu’un jeune garçon, David Gulpilil est devenu la première icône aborigène sur grand écran. Partagé entre les traditions de son peuple et les excès liés à sa célébrité, l’acteur et danseur aux multiples talents raconte le voyage extraordinaire qu’a été sa vie.

CRITIQUE DU FILM

Qui est David Gulpilil ? C’est à cette question que répond en partie le documentaire de Molly Reynolds. Co-produit par Gulpilil lui-même et le réalisateur Rolf de Heer (avec lequel il a tourné plusieurs films), My name is Gulpilil est mis en chantier en 2017 alors que l’acteur apprend qu’il a un cancer du poumon et cela afin de répondre à son envie de continuer à travailler. La réalisatrice raconte : « Pour David, il était question de réaliser son dernier film, le chef-d’œuvre qui s’achèverait sur ses cérémonies funèbres et son esprit retournant à sa source. » Mais l’acteur déjoue les pronostics, s’accroche à la vie, à tel point que l’équipe continue de tourner pour aboutir en 2020 à soixante jours de tournage. Le producteur décide alors de finir le montage et de sortir le film. Il sera présenté en avant-première en mars 2021 au Festival du film d’Adélaïde. « David était absolument ravi », ajoute-t-elle. Huit mois plus tard, David Gulpilil décède à Murray Bridge, dans le Sud de l’Australie. 

Seul acteur aborigène à avoir atteint une forme de reconnaissance internationale, David Gulpilil était un homme qui a passé toute sa vie à lutter : pour défendre la cause des Aborigènes et contre ses propres démons.

MON HISTOIRE DE MON HISTOIRE

Davantage qu’un récit biographique sur l’acteur – un documentaire de 56 minutes a été produit par la branche australienne d’ABC en 2002 intitulé Gulpilil : One Red Blood  – My name is Gulpilil cherche plutôt à lui donner la parole et à récolter son propre récit. « Ceci est mon histoire de mon histoire », annonce-t-il dès l’incipit. Et c’est une histoire plutôt édifiante.

Elle débute en 1953. Bien que Gulpilil avoue ne pas connaître son âge, des missionnaires locaux du Nord de l’Australie ont enregistré le 1er juillet 1953 comme étant sa date de naissance à partir d’hypothèses. Jeune homme, c’est un chasseur, un pisteur et un danseur tribal accompli. Il passe son enfance dans le bush et ne met jamais les pieds à l’école. Il apprend l’anglais en l’écoutant. 

En 1969, le cinéaste anglais Nicolas Roeg est en repérages en Australie et cherche un acteur aborigène pour son film Walkabout (1971). Il remarque un adolescent de 16 ans dont le talent de danseur tribal le conduit à l’engager. Le film va connaître une diffusion internationale et faire de Gulpilil une célébrité, l’amenant à voyager dans le monde entier. S’en suivra une carrière riche de 40 films, téléfilms, mini-séries et courts métrages dans lesquels il a souvent un rôle court mais mémorable. Storm Boy (1976), une histoire d’amitié avec un jeune garçon, le rend célèbre en Australie. Et s’il lui faudra attendre The Tracker en 2002 pour obtenir son premier rôle principal dans un long-métrage de cinéma (film malheureusement inédit en France), il aura tout même impressionné par sa présence et son charisme dans le fascinant film de Peter Weir sorti en 1977, La Dernière vague, et fait des apparitions plus anecdotiques dans L’Étoffe des héros (1983) et Crocodile Dundee (1986), film sympathique mais lourdingue qui fera un gros carton en salle.

My name is gulpilil

Par la suite, on le verra dans Le Chemin de la liberté (2002) et The Proposition (2005). Il participe aussi au très beau 10 canoës, 150 lances et 3 épouses en 2006, le premier film entièrement tourné en langue aborigène, dans lequel il fait une voix off. Puis, ce sera un petit rôle dans la fresque de Baz Luhrmann, Australia (2008), et l’excellent Charlie’s country*, réalisé par Rolf de Heer en 2013, qui raconte en grande partie sa propre histoire (prix du meilleur acteur à Cannes) et qui a donné lieu à deux « suites » sous forme de documentaires qui reviennent sur l’histoire des Aborigènes en Australie : Still our country (2014) et Another country (2015)..

BILAN ET DÉVOILEMENT

De cette carrière pléthorique, My name is Gulpilil puise des extraits qu’il mêle à des scènes dans lesquelles l’acteur s’adresse face caméra et raconte ce qu’il ressent, se souvenant de moments de sa vie, dans un mouvement à la fois de bilan et de dévoilement. On ne va pas ici se plaindre de ne pas avoir droit au sempiternel commentaire en voix off ou aux remarques hagiographiques de ses pairs. La réalisatrice privilégie des scènes de la vie courante rythmées par la musique : la gestion de la maladie avec son infirmière, des moments de recueillement, des séances de peinture (ses toiles sont sublimes), la visite de la famille… Et frôle le mauvais goût aussi avec une scène dans un cercueil. 

Avouons toutefois que le film souffre un peu de sa forme poétique et elliptique, qui ne permet pas de donner d’informations précises sur la vie de l’acteur, en dehors de ce qu’il veut bien en dire lui-même. Sa vie a pourtant été riche : il a participé à des festivals de danse et gagné des compétitions en défendant les danses traditionnelles. Il s’est aussi battu pour soutenir des causes politiques, comme l’octroi de terres aux populations indigènes, et a servi de mentor pour les jeunes générations d’Aborigènes. D’où son implication dans le film Australia de Baz Luhrmann en 2008 qui, même s’il est raté, a tout de même permis de donner une plus grande exposition au problème des générations volées, ces enfants métis enlevés à leur famille aborigène par les Blancs pendant plus d’un siècle. En plus de sa carrière de danseur, d’acteur au cinéma et à la télévision, Gulpilil était un conteur d’histoires reconnu et a écrit des livres pour enfants. Il a également créé son one man show en 2004 dans le cadre du Festival des arts d’Adélaïde, dont on voit des extraits dans le documentaire. 

My name is Gulpilil

La mémoire étant forcément sélective, il est admirable de constater que Gulpilil ne cherche en rien à minimiser ses années d’errance et de dépendance. Dans les années 2000, il rencontre des problèmes avec la justice. En 2007, il est notamment accusé d’actes de violence vis-à-vis de sa femme et en 2011 il est condamné à un an de prison. Il reconnaît dans le film qu’il a été drogué et alcoolique et qu’il a fumé pendant une bonne partie de sa vie (cf. la folle époque avec le dingue Dennis Hopper pour Mad Dog Morgan en 1976). À certaines périodes, il a dormi dans la rue. Tout cela est raconté par un homme au crépuscule de sa vie, qui avoue avoir eu du mal à gérer la célébrité, et qui dit qu’il « voit dans sa mémoire comme dans une caméra, j’y vois mon pays natal ». Il parle beaucoup de sa mort prochaine, de l’organisation de ses funérailles – un Aborigène se doit de retourner à son lieu de naissance pour mourir, il doit « retourner à son point d’eau ». Et de ses relations compliquées avec les femmes.

SIMPLICITÉ

Gulpilil se livre avec une telle honnêteté, une telle simplicité que cela force l’admiration. On aurait du mal à imaginer n’importe quel autre acteur se livrer de la sorte. Au moment du saut dans l’inconnu, l’homme est fier de son parcours, avec ce mélange d’humilité et de fierté qui le caractérisait. « Je suis le plus grand danseur du monde… juste pour moi », disait-il.

La filmographie de Gulpilil ressemble à un territoire vierge que chacun peut explorer pour y trouver des pépites. Si certains réalisateurs n’ont vu en lui que « l’Aborigène de service », d’autres ont su lui proposer des rôles plus complexes dans lesquels il se révèle très convaincant. Le voir passer de la moquerie à la gravité en quelques plans dans The Tracker ne laisse aucun doute sur son talent d’acteur. 

Au final, la carrière hors du commun de Gulpilil aura donné une exposition mondiale au peuple aborigène à qui il aura permis de ne pas perdre confiance dans son combat. Mais le choc des cultures entre les colonisateurs et les peuples autochtones n’est pas encore terminé. N’oublions pas que les Aborigènes ne sont recensés comme citoyens australiens que depuis 1967 ! En 1984, dans Le pays où rêvent les fourmis vertes, Werner Herzog racontait l’histoire fictionnelle d’une compagnie minière anglaise venant s’implanter en Australie en vue d’y exploiter l’uranium. Leurs recherches étaient interrompues par les autochtones qui revendiquaient pacifiquement cette terre sacrée. Sujet éternel dont James Cameron a tiré le scénario d’un certain film de 2009 dont on attend impatiemment la suite en fin d’année.

Bande-annonce

31 août 2022De Molly Reynolds, avec David Gulpilil




%d blogueurs aiment cette page :