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LES ÉTENDUES IMAGINAIRES

La fiche
Les étendues imaginaires affiche

Réalisé par Siew Hua Yeo – Avec Xiaoyi Liu, Peter Yu, Jack Tan…
Singapour Drame, polar – Sortie : 6 mars 2019 – Durée : 95 min

Synopsis : A Singapour, dans un chantier d’aménagement du littoral, l’inspecteur de police Lok enquête sur la disparition de Wang, un travailleur immigré chinois. Après des jours de recherches, toutes les pistes amènent Lok dans un cybercafé nocturne, tenu par Mindy, une fascinante jeune femme, que Wang fréquentait pour lutter contre ses insomnies et sa solitude. Lok découvre que Wang s’était lié d’une amitié virtuelle avec un mystérieux gamer…
 

La critique du film

Tout à la fois un film noir, une fable sociale et un drame onirique, Les étendues imaginaires de Yeo Siew Hua dresse une cartographie de bien des réalités de l’île État de Singapour. Pour raconter son histoire, l’auteur utilise deux personnages, un travailleur chinois blessé sur son chantier, et un inspecteur de police singapourien chargé de l’enquête sur sa disparition. Tous deux semblent jumeaux, reliés par leurs rêves et les lieux de la nuit qu’ils fréquentent, et notamment ce cybercafé tenu par l’actrice Luna Kwok. L’enchevêtrement des thématiques autour de ces deux personnalités et leur incapacité commune à dormir, donne un cachet ésotérique assez déroutant au film. Singapour semble tout à la fois un corps physique qui s’agrandit, à grand renfort de sable importé de Malaisie et autres pays de la zone géographie, mais également une entité spirituelle.

De la même façon qu’Ilo Ilo d’Anthony Chen, caméra d’or du festival de Cannes en 2013, le film analyse le tissu social complexe de Singapour, et notamment de l’immigration massive venue pour travailler sur les nombreux projets de construction de l’île. Le casting du film est à l’image des personnages qui composent cette histoire : un travailleur chinois, un bengali, un policier local, hantant tous des territoires en perpétuel devenir. Singapour ne cesse de s’étirer, victime de son développement économique, dans un geste expansif monstrueux qui génère en creux des disparités sociales importantes et une exploitation sauvage d’une main d’œuvre vivant dans des logis insalubres pour des salaires inexistants. C’est le premier constat des étendues imaginaires : un quotidien agressif qui se retourne contre ces habitants, comme prisonniers d’un boum économique qui loin de créer de la richesse enchaîne ces hommes à une machine toujours plus aliénante.

« Territoires rêvés, territoires ludiques »

Le cybercafé où échoue Wang, et lui fait rencontrer Mindy, est tel une porte vers un ailleurs fantasmé qui trace de nouveaux horizons. Chaque plage, créée artificiellement, devient un pays, une échappatoire où tous deux s’évadent, profitant de ces nuits blanches pour laisser place à leur imagination. Cette géographie revisitée donne tout son sens au titre français du film qui confronte l’être et le devenir, le rêve et la laborieux.

Les étendues imaginaires
La variation de ton présente dans le film en constitue un socle vertueux : Yeo Siew Hua alterne avec qualité les différentes propositions de son film, creusant tour à tour les fragilités de chacun de ses personnages. Apparaît en filigrane un visage de la société singapourienne, sans doute l’un des plus précaires, mais aussi l’un des plus violents. Tourné tout entier dans une zone industrielle, le cybercafé est presque la seule concession à un univers polarisé autour de la figure du travail, presque servile.

Un autre aspect troublant est le presque anonymat de ces travailleurs migrants : sans passeport, presque sans identité, ils sont remplaçables et corvéables à souhait. Tout se passe comme si l’action se déroulait dans un jeu vidéo déshumanisé, où les corps ne seraient que des données binaires, et où la disparition une donnée intégrée aux codes d’une partie subie. L’inspecteur s’immerge dans la vie du migrant, et lui-même s’est perdu dans la nuit singapourienne, emportant son mystère au grès d’une énième mise à jour. Luna Kwok incarne une femme vaporeuse même si forte, sorte de lien entre les lieux et les personnages, allégorie de cette nuit qui ne veut pas finir.

Les étendues imaginaires n’est pas parfait en soi, on peine en effet par séquences à suivre la narration et ses personnages, mais il reste un essai ambitieux et gorgé de métaphores sur ces nouvelles organisations sociales qui imposent la migration et la précarité à des populations toujours plus fragiles et sensibles, cela jusqu’à la désintégration. L’onirisme distillé par l’auteur confère un charme indéniable à un film qui se révèle diablement séduisant, servi par un casting très convaincant et investi.



L’info en plus : le film a reçu le Pardo d’oro au dernier festival de Locarno en Suisse, un des festivals de cinéma indépendant les plus importants d’Europe, présidé par le réalisateur chinois Jia Zhang-Ke (Les éternels, A touch of sin).



La bande-annonce




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