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INGEBORG BACHMANN – JOURNEY INTO THE DESERT

Biopic sur l’auteur Ingeborg Bachmann (1926-1973) et à sa vie mouvementée et notamment sa relation amoureuse passionnée avec l’auteur suisse Max Frisch.

Critique du film

Réalisatrice depuis les années 1970, Margarethe von Trotta s’intéresse dans son nouveau film à la poétesse et traductrice allemande Ingeborg Bachmann, célébrité outre-Rhin qui officiait au cœur du XXème siècle. Si le genre du biopic oblige bien souvent les cinéastes à respecter un cahier des charges très resserré et linéaire, limitant les ambitions artistiques, Von Trotta réussit l’exploit de contourner ces obstacles en proposant un projet de cinéma fondé sur une trame narrative en deux temps, d’une part l’histoire d’amour entre Ingeborg Bachmann et Max Frisch, dramaturge célèbre, mais aussi le voyage de l’écrivaine en Afrique du Nord avec l’un de ses amis, qui intervient après la séparation du couple. Les bonds opérés entre les deux temps de l’histoire créent à eux seuls un rythme et une dynamique qui empêchent le film de s’enliser dans un déroulé ennuyeux des faits de gloire de la personnalité analysée comme c’est souvent le cas dans ce type de fictions.

L’autre immense qualité de ce Journey into the desert est l’actrice qui incarne Ingeborg, Vicky Krieps qui, plus que jamais, démontre à la fois sa capacité à rayonner et à porter tout un projet, mais aussi à multiplier les langues vivantes, parlant successivement en allemand, français, italien ou anglais, avec la même musicalité et facilité déconcertante. Le sourire de la luxembourgeoise porte littéralement le scénario au-dessus des obstacles d’une histoire de jalousie et de rupture somme toute assez classique. Max passe de l’amour fou à la jalousie, pour finir par se lasser de celle qu’il admirait, et stupeur par la quitter minablement pour une femme plus jeune rencontrée à Rome, ville où il ne se rendait que pour confronter sa compagne, la pensant en bonne compagnie, notamment de celle de ses amants. Cet angle-là introduit une vision extrêmement moderne de la sexualité, l’alternance de séquences soulignant que Bachmann était d’une liberté dans ses relations qui va de pair avec sa conception du monde et du rôle des femmes dans la société.

Ingeborg Bachmann

La réalisatrice des Années de plomb (1981) développe donc un film très ambitieux et vivant, porté par un duo d’acteurs exceptionnels. Ronald Zehrfeld (Phoenix, Barbara) incarne un Max Frisch à la présence physique omniprésente, opposée exacte d’une Ingeborg aérienne et joviale, là où lui semble terrien et taciturne. Il rêve de sa Suisse, plus précisément de Zurich, et de ne jamais la quitter, là où elle se tourne en permanence vers l’Italie et Rome, ville lumière qui lui réchauffe l’âme et l’inspire dans son art. S’il se déchire, ce couple de cinéma, qui a laissé très peu d’archives à cause du secret dont s’entourait Ingeborg Bachmann, n’est jamais plombant, et Margarethe von Trotta ne les dirige jamais avec un sadisme qui peut habiter de nombreuses fictions du même type. L’héroïne fait fi de ce type d’histoire, préférant s’échapper pour propager sa lumière vers d’autres cieux, et se retrouver comme rassérénée au beau milieu du désert, au bras de plusieurs amants qui symbolisent une libération, là encore dans la joie et un geysier d’émotions qui correspondent si bien à Vicky Krieps, et ce qu’elle apporte au cinéma d’une manière générale.

L’actrice a travaillé le rôle comme elle le fait toujours dans pareille occasion, sans mimétisme, sans volonté d’avoir une apparence différente de celle qu’elle arbore dans sa vie réelle, préférant mettre le jeu au centre de sa préparation. Cette vision de la confection d’un personnage, fusse-t-il réel ou imaginaire, fait que la puissance qu’elle lui confère vient toute entière de sa personnalité, et de la couleur si particulière de son âme et son sourire. Vicky Krieps investit donc complètement la partie distribuée avec beaucoup d’intelligence par Margarethe von Trotta, dans une liberté déconcertante qui explique pourquoi son personnage fonctionne aussi bien à l’écran. À plus de 80 ans, cette grande réalisatrice spécialiste dans le regard sur le contemporain a su s’entourer du casting parfait pour son projet, ce qui explique l’enthousiasme qui transparait de chaque scène, dans un amour de faire du cinéma qui devient une source d’inspiration éloquente.

De Margarethe von Trotta

Avec Vicky Krieps, Ronald Zehrfeld et Tobias Resch


Présenté en compétition à la Berlinale 2023




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