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DECISION TO LEAVE

Hae-Joon, détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Sore, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.

Critique du film

Grand formaliste sondant les tréfonds de l’âme humaine, Chan-Wook Park s’est imposé au fil des années comme le digne représentant d’un cinéma sud-coréen sans concession, à l’esthétique ultra léchée. Auteur de fables cruelles, son style baroque demeure reconnaissable entre mille, n’hésitant jamais à user d’une esthétisation de la violence pour mieux dénoncer cette dernière. Maintes fois passé par Cannes et récompensé à deux reprises (Grand Pix en 2000 pour Oldboy et Prix du Jury en 2009 pour Thirst), le cinéaste est de nouveau présent en compétition cette année avec Decision To Leave, dont le pitch laconique laisse présager un thriller vénéneux et sensuel, s’inscrivant parfaitement dans l’œuvre de son auteur.

Hae-Joon est un brillant enquêteur insomniaque, d’une intégrité sans faille et totalement dévoué aux affaires qu’il tente de résoudre. Appelé pour déterminer les causes de la mort d’un homme dont le cadavre vient d’être découvert au pied d’une montagne, il ne tarde pas à faire la connaissance de la veuve du macchabé, Sore. Pas éplorée pour un sou, la jeune femme d’origine chinoise devient rapidement suspecte numéro un de l’affaire, même si tout porte à croire à un suicide/accident. Et pour ne rien arranger à son enquête, Hae-Joon doit rapidement faire face à l’attirance irrépressible qu’il éprouve pour Sore au fil de longs interrogatoires qui se transforment petit à petit en rendez-vous romantiques…

Park Chan Wook se sert d’une intrigue à première vue très classique pour y déployer toute la virtuosité de metteur en scène qu’on lui (re)connait. Mouvements de caméra insensés, image ouatée, plans large à beauté picturale : chaque séquence du film témoigne de l’inventivité sans limite du maitre et de son sens inné du plan parfait. Comme à son habitude (et à l’instar de son compatriote Bong Joon Ho), le réalisateur opère des ruptures de ton et mélange les genres, tant est si bien qu’il est difficile de prédire dans quelle direction le film souhaite embarquer son spectateur. Au thriller atmosphérique entre mer et montagne s’ajoute certains codes de la comédie romantique, bien souvent teinté d’un humour à froid frôlant l’absurde.

Decision to leave

Cette romance funèbre pourra donc en désarçonner plus d’un, d’autant que le réalisateur ne ménage pas son spectateur et s’amuse à éclater sa narration (flashbacks, ellipses, flashforwards…) et sa mise en scène (personnages évoluant dans des scènes où ils ne sont pas censés être), quitte à rendre l’ensemble plus alambiqué que de raison. La complexité du scénario semble vouloir épouser le trouble et la confusion ressentie par son héros, mais à trop vouloir déjouer les attentes de son public, Park Chan Wook prend le risque de laisser pas mal de monde sur le bas-côté. Il faudra une confiance aveugle dans le dispositif et dans la résolution progressive des (nombreux) nœuds scénaristiques pour voir sa patience récompensée, lors d’un final aussi romanesque qu’ambigu.

Hommage évident à Vertigo tout autant qu’exercice de style ébouriffant, Decision to leave impressionne par la maitrise totale de son réalisateur à s’approprier une histoire racontée mille fois au cinéma. Il orchestre ainsi un jeu de chat et de la souris parfaitement tortueux et malsain, porté par des dialogues ciselés, une photographie à tomber par terre et des personnages géniaux d’ambiguïté. Dommage que l’ambition formelle prenne quelque peu le pas sur une narration pas toujours évidente à appréhender. Une menue réserve qui n’aura pour conséquence que de se replonger une nouvelle fois dans cette œuvre pour en saisir toute la richesse. La marque d’un grand film ?

Bande-annonce

29 juin 2022 – De Chan-Wook Park, avec Tang WeiGo Kyung-pyoPark Hae-il


Cannes 2022 – Prix de la mise en scène




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