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WILLIAM OLDROYD | Entretien

À quelques jours de la sortie de The young lady, notre recommandation ciné du mois d’avril, nous avons rencontré le metteur en scène William Oldroyd pour évoquer ce premier long-métrage, son passage des planches aux plateaux de cinéma, les enjeux de cette production à budget réduit, le choix de Florence Pugh pour le rôle principal, ses références cinématographiques ainsi que son avenir à la réalisation… 

LBDM.fr : Pour votre premier film, quels aspects stylistiques et créatifs avez-vous conservé de votre travail au théâtre ?

William Oldroyd : Au théâtre, je me focalise sur le texte et sur les comédiens. Lorsque l’on a décidé de faire ce film, j’ai réclamé avec insistance que l’on fasse des répétitions et que l’on tourne (le plus possible) dans l’ordre chronologique. Je sais que ce n’est pas commun dans le cinéma, cela peut parfois coûter plus cher. Mais, par chance, nous avions réuni les acteurs pendant 24 jours et nous n’avions qu’un lieu de tournage. Il était important pour moi que les acteurs puissent avoir le temps de créer un lien avec moi, et entre eux, afin qu’il y ait une relation de confiance. Il fallait qu’il sente que je ne les mettrais pas en danger, que je n’allais pas les humilier. L’ordre chronologique permettait de travailler sur l’évolution psychologique des personnages. 

Et votre façon de travailler, était-elle très différente entre une pièce que l’on monte et un film que l’on tourne ? Peut-on passer facilement d’un univers à l’autre ? 

W. O. : J’ai trouvé cela extrêmement difficile. J’avais déjà réalisé un court-métrage (Play) et je ne voulais pas faire de « théâtre filmé ». J’ai beaucoup lu d’ouvrages sur la réalisation, vu des films d’époque, afin de me documenter et d’enrichir mes connaissances et mes compétences. J’ai réalisé que le spectateur, au théâtre, fait lui-même son montage. Sur scène, il peut focaliser son attention sur un élément qui l’attire. Le boulot du réalisateur est de faire ce choix, de montrer pourquoi je guide l’attention du spectateur sur quelque chose. C’est une immense différence. Mon chef-opérateur a été essentiel sur ce point.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’idée de porter au cinéma ce roman sorti à la même période que Madame Bovary de Flaubert ? 

W. O. : Avec mon scénariste, nous avons aimé énormément le personnage de Katherine. Elle était fascinante. Je ne savais pas grand chose de cette époque du XIXe siècle. Ce que j’aimais chez elle, c’est qu’elle ne tombait pas dans la dépression avant de se suicider. C’est une combattante, elle se relève et se bat. C’était très intéressant. Elle est pro-active, c’était génial de voir cela dans une oeuvre de cette époque !

Nous avons décidé de mettre le plus de budget à l’écran. Le but n’était pas de s’enrichir mais de faire le meilleur film possible.

Avez-vous été tenté de moderniser encore davantage l’ouvrage pour son adaptation ?

W. O. : Nous avons évoqué la possibilité de le transposer à une époque contemporaine. De nombreux réalisateurs ont fait des films remarquables en adaptant un livre à l’époque actuelle. Mais plus on pensait à cette option, plus on réalisait que l’élément clé de l’histoire tient à son isolation. Elle n’a aucune possibilité de s’enfuir. Dans l’ère moderne, cela aurait été bien trop facile d’entrer en contact avec le monde extérieur. Nous voulions également conserver le critère qu’elle était « la propriété » de son mari. Il la possède. C’était une raison supplémentaire qu’elle le combatte.

Avec, peut-être, une envie de défendre les éléments féministes de l’oeuvre ? 

W. O. : Effectivement, une large partie de ce que l’on voit dans le film était déjà présent dans le film. Nous voulions conserver cela et la modernité de ces thématiques. Ma scénariste, Alice Birch, a changé la fin et cela fait une grosse différence. (SPOILER) Permettre à Katherine de s’en sortir, c’est un énorme changement, lourd de signification. Nous avons pensé que c’était mieux ainsi, c’était plus satisfaisant – même si l’emploi de ce mot est paradoxal puisqu’il s’agit d’une tragédie.

Souvent, les cinéastes disent que les budgets réduits sont un inconvénient que l’on peut transformer en atout. Les rejoignez-vous ? 

W. O. : Effectivement. Quand on a vendu notre projet, on nous rétorquait : « comment faire un drama britannique d’époque avec un demi-million d’euros ? C’est impossible ! » Mais nous savions que ce budget réduit allait nous conduire à nous focaliser sur ce qui était important, ce qui était prioritaire pour raconter l’histoire. Une seule localisation, 24 jours de tournage, deux costumes par comédien et six personnages. Nous avons prouvé que c’était possible ! On me demande régulièrement ce que j’aurais fait de différent si j’avais eu davantage d’argent pour faire le film. Je ne sais pas. Nous avons fait le film avec ce petit budget et en sommes très fiers ! Nous avons pu mettre en image ces cent-trente scènes, c’était donc possible.

Est-ce encore aussi difficile de vendre un film d’époque, à l’heure où les productions télévisuelles sont très nombreuses à choisir ce genre ? 

W. O. : Au final, c’est la qualité qui prime. Peu importe le budget, la question est : combien d’argent mettras-tu devant la caméra ? Combien payes-tu tes acteurs et tes techniciens ? Nous avons décidé de mettre le plus de budget à l’écran. Le but n’était pas de s’enrichir mais de faire le meilleur film possible. Et ce n’est qu’alors que l’on sollicite les compagnies pour vendre le film. Et nous avons la chance d’avoir derrière nous des gens qui n’ont pas réfléchi en termes de cibles mais qui ont vu quelque chose dans notre film qui leur a plu et qu’ils ont eu envie de soutenir.

De jeune fille candide à femme de pouvoir, l’évolution de Katherine représente le cœur du film. Comment avez-vous choisi Florence Pugh pour l’incarner ?

W. O. : Ce fut un choix facile. C’était évident qu’elle serait parfaite pour le rôle. Elle m’avait été recommandée par la directrice de casting. Elle avait les qualités dont nous avions besoin pour incarner Katherine et la défendre. Elle était capable de se transformer : de la jeune fille innocente à la femme impitoyable. Et Florence a un instinct incroyable. Elle n’avait que dix-neuf ans à l’époque, c’était assez remarquable de la voir se métamorphoser de la sorte à l’écran. Elle donne l’impression qu’elle pouvait écraser tout le monde.

Lors des premières minutes, il est difficile de ne pas convoquer certaines références (le Wuthering Heights d’Andrea Arnold, les films de Jane Campion…). Quelles ont été vos influences ? 

W. O. : Le Wuthering Heights d’Andrea Arnold est le premier film d’époque britannique où une impression de naturel. C’était le genre de film d’époque que je voulais faire. Les personnages sonnaient vrai, ils étaient sales, ils avaient un langage que je comprenais, il n’y avait pas de présentation formelle, la caméra se déplaçait avec eux… Mais évidemment nous n’allions pas refaire le même film ! Nous avons repris le côté libre de la caméra, la liberté et l’intensité du jeu des comédiens. Andrea a fait un film qui fonctionnait parfaitement mais je ne voulais pas reproduire cela, pas plus que je ne voulais faire un film « à la manière de Jane Campion ». C’était très difficile d’avoir autant de références en tête d’oeuvres formidables. Au final, nous nous sommes focalisés sur nos personnages, comment nous pouvions au mieux les représenter à l’écran, suivre leurs relations et illustrer l’histoire que nous souhaitions raconter.

Souhaitez-vous poursuivre votre carrière de réalisateur avec de nouveaux projets ou, au contraire, revenir vers le théâtre ?

 W. O. : J’ai envie de faire un autre film. Ce sera sûrement l’adaptation du roman Un homme dans ma cave de Walter Mosley. Cela se déroule à Long Island, à New-York. Ce projet se développe depuis quelques temps.

Il faudra donc traverser l’Atlantique pour celui-ci…

W. O. : Oui et cela implique de prendre l’avion… Je déteste ça. (rires)


Propos recueillis, traduits et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir
Entretien réalisé à Paris le 4 avril 2017. Remerciements : W. Oldroyd, Matthieu Rey, Damien Bertic



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