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MIKHAËL HERS

Quelques jours après la sortie de son troisième long-métrage, le bouleversant Amanda, nous avons rencontré le réalisateur Mikhaël Hers, en marge d’une projection spéciale en banlieue parisienne… L’occasion d’évoquer son travail, la récurrence de certaines thématiques et de quelques motifs, sa gestion de l’histoire et de l’environnement, son choix de Vincent Lacoste et Isaure Multrier… 

La vie, la ville

Le thème du deuil, déjà présent dans Ce sentiment de l’été, semblait traité de façon plus évanescente. Ici dans Amanda, il est abordé de façon plus concrète, en phase avec le réel, connecté avec l’air du temps. Etait-ce un besoin de rejoindre le contexte de ces dernières années, celui d’un Paris ayant perdu son insouciance ?

Mikhaël Hers : Mes premiers films avaient aussi à faire avec la disparition mais peut-être d’une manière plus métaphorique. Même si dans Ce sentiment de l’été, c’était aussi frontal. Mais ce qui motivait l’écriture avait peut-être davantage ce rapport rétrospectif : retrouver des lieux, aimer des choses, investir un temps ou une époque. C’est vrai qu’avec Amanda il y avait une sorte d’urgence à saisir un instant du présent, de Paris, de la fébrilité de l’époque, de la beauté de la ville… Je n’aime pas trop dire ça car les films sont forcément de leur temps mais il y avait effectivement un élan plus directement tourné vers cette urgence du présent.

Sans ou avec très peu de mots, vous parvenez à faire résonner certains sentiments vécus par les parisiens ces derniers temps… Le besoin de reconstruction, La perte d’innocence, la résilience. Si ce n’est pas le sujet du film, c’est quelque chose de fort ce que vous faites, l’air de rien, en distillant ces sensations très actuelles…

M. H. : L’idée de faire des films SUR un sujet, ça me déprime. Je n’aime pas les films « dossiers ». Il faut laisser les films respirer, s’émanciper de leurs sujets. L’intention était de s’emparer de l’actuel par le prisme de la tragédie intime et du drame familial. Ce n’est qu’une toile de fond témoignant du contemporain. Je ne voulais pas faire un film saturé d’un discours sociétal ou politique. Il fallait que cela existe par petites touches, de manière sous-terraine, mais indéniablement présente. On peut attester de choses prégnantes en les suggérant, en faisant apparaître des ressentis au hasard de quelques mots.

Une question sur votre manière de filmer la ville… Quand on voit vos films, on ressent l’atmosphère des lieux, les vibrations propres à chaque ville. Est-ce une démarche consciente ? Comment y parvenez-vous ?

M. H. : Tout part des lieux. Je suis incapable de me projeter une scène sans y accoler une réalité qui m’est familière. Cela décuple mes impressions. Le réel est à la base de la matière. J’écris en pensant à des lieux qui me sont familiers, palpables.

Par exemple, on a le sentiment que vous filmez Paris comme un véritable parisien, comme quelqu’un qui y vit et pas comme quelqu’un qui fantasmerait un Paris de carte postale… 

M. H. : Je filme avec ma subjectivité. Je n’ai pas la prétention de dresser une vision exhaustive de Paris. J’avais envie de filmer un Paris du quotidien, le plus trivial possible. C’est un choix, je suis assez orienté vers un Paris qui mêle à la ville des espaces boisés. Mais c’est un Paris que je ne fabrique pas, que je ne contrains pas. Je n’évacue pas les gens. J’insère ma fiction dans la ville, je ne cherche pas à maquiller Paris.

Dans votre oeuvre, un motif récurrent apparaît : celui de la colline qui surplombe la ville. Dans Amanda, cela nous paraît flagrant, les trois villes (Paris, Périgueux et Londres) sont filmées à un moment ou un autre depuis une colline… Pourquoi ?

M. H. : Cela vient de mon enfance, de mon adolescence. J’ai grandi en banlieue parisienne. Je vivais dans une ville sur les hauteurs, surplombant Paris. J’avais cette promesse de la grande ville mais je n’y vivais pas complètement. On approche peut-être la vérité d’un lieu, d’un sentiment, de l’essence des choses, en passant par la périphérie, en prenant un peu de distance plutôt qu’en demeurant en son centre. La promesse d’un lieu alors qu’on n’y est pas tout à fait, c’est un endroit qui me plait bien. C’est comme cette heure magique du soir où arrive la promesse de la nuit mais on n’y est pas encore, le soleil n’est pas complètement couché. Ce moment de bascule, de l’entre-deux, c’est un moment qui me plait.

Évoquons maintenant l’attention que vous portez à vos scènes d’exposition. Pourquoi aimez-vous autant jouer sur la rupture dans vos scénarios ?

M. H. : C’est quelque chose qui m’a toujours terrifié la rupture, quelque chose que j’appréhende dans la vie. Je sais que c’est un poncif mais cette déchirure, cette bascule, ça m’a toujours traumatisé. Je fais probablement des films pour m’accommoder de cela. Cette idée du drame qui survient, cela m’a toujours hanté et cela se retrouve dans mes films.

Parlons du choix de Vincent Lacoste. Précédemment, vous avez dirigé Anders Danielsen Lie, qu’on pouvait déjà associer à un sentiment de mélancolie. Cette fois-ci, c’est Vincent Lacoste que l’on n’a probablement jamais vu aussi émouvant (même s’il est apparu récemment chez Honoré dans un rôle dramatique). Comment s’est imposé à vous ce choix ?

M. H. : La matière du film est tellement dense et fragile à la fois, j’avais le sentiment que pour que le film soit recevable par le spectateur dans sa violence, il fallait qu’il soit porté par quelqu’un qui ait une forme de grâce, quelqu’un d’aérien. Vincent Lacoste a cette capacité à susciter l’empathie, il a une forme de légèreté. Très profond mais de manière légère.

Et pour lui donner la réplique, il y a ce choix pour incarner Amanda : quelle formidable trouvaille vous avez fait avec Isaure Multrier. Une vraie justesse dans l’interprétation et, visiblement, une jeune fille qui sait ce qu’elle veut !

M. H. : On a vu des centaines de petites filles. Certaines avaient déjà joué. Parfois, on a le sentiment que les enfants comédiens sont davantage là pour investir le désir de leurs parents. On est passé par du casting sauvage. On l’a trouvée par hasard, au Forum des Halles, à la sortie de son cours de gym. Ma directrice de casting lui a proposé de venir. Elle était excellente. Elle a imposé à ses parents de venir passer l’essai alors qu’ils y étaient peut-être un peu réfractaires…

Comment travaille-t-on un rôle si complexe avec des thèmes aussi durs avec une enfant de sept ou huit ans ?

M. H. : Isaure a une véritable maturité, elle comprenait vraiment tous les enjeux du film. Elle les appréhendait aussi. On ne peut pas les manipuler.  Elle avait peur des séquences d’émotion, elle les appréhendait. Ce qu’elle préférait faire, c’était les choses joyeuses, légères. Sa scène préférée est celle où elle mange des gâteaux. C’est essentiellement au niveau du rythme de travail que l’on doit s’adapter. On appréhende le film comme avec un adulte, de créer un climat de confiance. Je n’aime pas passer par la manipulation psychologique…

Propos recueillis par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir

Remerciements : Mikhael Hers, Gustave Shaïmi, Le Cyrano



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