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LA PIÈCE RAPPORTÉE

Paul Château-Têtard, vieux garçon de 45 ans et pur produit du 16e arrondissement de Paris, prend le métro pour la première fois de sa vie et tombe amoureux d’une jeune guichetière, Ava. Leur mariage n’est pas du goût de « maman », Adélaïde Château-Têtard, qu’on appelle aussi la Reine Mère. Pourtant cette dernière s’en accommode : un héritier serait le bienvenu. Mais le bébé tarde à venir… Une guerre sans pitié s’engage entre les deux femmes, la Reine-mère étant persuadée qu’Ava trompe son fils. Il doit bien y avoir un amant quelque part…

Critique du film

D’un trait de poème en bons mots si fertile, le Français né malin forma le vaudeville ; agréable indiscret qui, conduit par le chant, passe de bouche en bouche… et s’accroît indéniablement en le visionnant ! Tel un fervent disciple de Boileau, Antonin Peretjatko distille savamment dans La pièce rapportée, son troisième long métrage après La Fille du 14 juillet et La Loi de la jungle, tous les ingrédients nécessaires du genre – de l’action aux multiples rebondissements à la légère satire politique et sociale.

Si, pour la première fois, le réalisateur décide d’arpenter les chemins parfois sinueux que sont ceux de l’adaptation, il ne se démet pas pour le faire de sa distinctive originalité, son récit prenant pour appui non pas un mais bien deux supports. Le premier, qui donne sa trame générale au film, est la très courte nouvelle que la dramaturge Noëlle Renaude avait publiée en 1980 dans les pages du magazine Bonne Soirée sous le titre “Il faut un héritier.” Le second, plus surprenant, n’est autre que la nouvelle de Tchékov – “Le Roman d’une contrebasse” – dont Peretjatko emprunte à la fois par révérence devant l’écrivain, mais également pour servir de nœud scénaristique à son film, et mettre en scène le point de bascule d’un personnage autour duquel le consensus quant à son état mental précipitera la chute.

DEUX FEMMES ET PAS DE COUFFIN

Invitant le spectateur à plonger dans son récit à la manière des trois coups de brigadier qui précèdent le théâtral lever de rideau, celui-ci n’aura pas grand mal à situer la trame. La pièce rapportée n’est, au sens le plus pur de l’expression, que l’histoire d’une jeune femme faisant la rencontre d’un vieux garçon issu d’un milieu extrêmement aisé, et dont le mariage sera loin d’enchanter une belle-mère qui, faute de voir se profiler rapidement le fruit qui donnerait au moins une quelconque utilité à une telle mésalliance, mettra tout en œuvre pour la décrédibiliser aux yeux de sa propre progéniture.

Interprété avec tout le talent que l’on connaît à Josiane Balasko et Anaïs Demoustier, celui d’Antonin Peretjatko réside indéniablement dans son sens des parallèles pour illustrer l’affrontement délicieusement mesquin entre ces deux femmes que tout opposent, et dont l’enjeu consiste à évincer l’autre. Au travers de comiques de situations, et de dialogues atteignant des sommets d’absurde dont la jouissance explose à chaque nouveau décalage, les scènes s’enchaînent avec une fluidité étonnante malgré la prolifération d’informations qu’elles contiennent. Peretjatko ne laisse du reste rien au hasard, et pousse jusqu’au détail le plus précis ses effets de miroir pour faire passer son message.

La pièce rapportée

Ainsi, une attention particulière est apportée aux costumes et coiffures – qui de simples signes distinctifs pour chaque personnage, prennent progressivement l’attrait d’un marqueur social. De pièce rapportée, vêtue de tenues colorées et légères, le personnage d’Ava passe doucement mais sûrement à des tailleurs dans lesquels elle peine à respirer à mesure qu’elle s’intègre dans son nouveau milieu. De code vestimentaire, l’on passe dès lors au code de conduite – que le coiffé du chignon distinctif de sa Némésis parachève comme signe de victoire. En effet, en adoptant ses atours, Ava prend non seulement la place de la Reine Mère, mais illustre également la douce satire du réalisateur sur le milieu qu’il dépeint.

REGARDE LES RICHES, L’IMPORTANT C’EST TOUT CE DONT ILS SE FICHENT

A l’appui d’une “banale” rivalité entre deux générations, La pièce rapportée permet à son réalisateur de transposer avec aisance le propos de son matériau d’origine à notre époque – et montrer combien, à travers une histoire sur le mélange des classes sociales, les rapports de pouvoir et de domination s’exercent à chaque échelon de la société.

Qu’il s’agisse de la famille que l’on suit, qui fonde sa richesse sur une absence totale de scrupules, ou de la désinvolture affichée de son personnage principal qui choisit de fermer les yeux sur tout ce qui peut poser des problèmes d’argent, le film, sous couvert de sourires, met le spectateur face à une réalité d’autant plus cruelle que les protagonistes que l’on suit en sont totalement conscients : nous vivons dans un monde où l’espoir de devenir riche laisse trop peu de place à toute justice sociale. En choisissant, non pas de faire imploser l’ordre établi, mais en s’y intégrant avec une insouciance presque enfantine, le personnage d’Ava est l’archétype même de l’individu sans conscience politique qui, ayant subi sa condition de classe modeste, pénètre par chance dans un milieu aisé avec tous ses avantages et dès lors, ne prête plus aucune attention aux souffrances qui l’entoure.

Fort de ses actrices et de sa mécanique rondement huilée, La pièce rapportée est, sous couvert de grotesque et de guerres familiales intestines, un doucereux rappel que ce n’est pas en améliorant une absurdité que l’on prouve une certaine intelligence, mais bien en la supprimant.

Bande-annonce

1er décembre 2021Antonin Peretjatko
avec Josiane Balasko, Anaïs Demoustier, Philippe Katerine et William Lebghil




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