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L’ARBRE

Au sein d’une obscurité qui rassure, où seuls les éclairs et le bruit des détonations témoignent de la présence lointaine d’une guerre, un vieil homme imperturbable traverse un paysage hivernal. Il porte sur ses épaules son « pilori » de bois, lui servant à transporter de l’eau. Sur son chemin, il aperçoit un enfant près d’un feu, sous un arbre, sur une berge ; sur une berge, sous un arbre, un enfant qui fuit la peur de la guerre rencontre un vieil homme. C’est sur ce tapis de neige, à l’abri de l’arbre, que les temporalités se croisent, que les souvenirs ressurgissent et que la peur est partagée, avec pour seul réconfort la chaleur humaine.

Critique du film

Le réalisateur André Gil Mata, tourmenté à l’idée de ce qu’ont vécu les habitants de Sarajevo, dit avoir eu un déclic en voyant des enfants aller chercher de l’eau sous le feu des snipers. Dans des situations qui semblent dénuées de tout espoir, l’esprit d’entraide et l’instinct de survie font parfois la différence. Par des rituels, en apparence anodins mais indispensables comme d‘aller chercher de l’eau pour soi, mais aussi pour ses voisins, les personnages sont transcendés par la force de vie, la patience et la constance qui émanent d’eux et de leurs gestes, inlassablement répétés. A l’image du cycle de la vie. 

André Gil Mata définit lui-même  le sujet de son film comme « une répétition  cyclique de l’humanité » et estime que « la vie marche vers les morts ». Le cheminement de l’homme, Ibro, sa rencontre avec un enfant qui n’est peut-être au final qu’un autre lui-même, tout ce périple est narré avec une précision et une lenteur extrêmes, dans un décor d’une beauté étrange, onirique et fantastique. Les images semblent presque irréelles. On a beaucoup de mal à savoir s’il s’agit de vrais paysages magnifiés par le travail du chef opérateur Joao Ribeiro ou de peintures. Visuellement, le film est très troublant et il faut saluer le travail exceptionnel de la directrice artistique Sandra Neves. 

Force de vie

Très marqué par le travail de Murnau, mais aussi par Van Gogh ou des films comme La Nuit du chasseur, le réalisateur a refusé la facilité du numérique pour tourner avec de la vraie pellicule et la réussite plastique de L’Arbre constitue un de ses atouts majeurs. Il se dégage de cette esthétique une impression de rêve éveillé et de fantastique. La scène qui paraît la plus réelle, celle de l’enfant et de sa mère est paradoxalement une scène de souvenir lointain ou de rêve. 

Plutôt que de fuir la guerre, il est plutôt question de lui opposer sa force intérieure et son inexorable endurance. La noirceur du film, de son climat est bien réelle mais contrebalancée par des étincelles d’espoir et d’humanité d’une grande simplicité. Il s’agit d’un film précieux par sa poésie et son intransigeance artistique. 

Film hypnotique, envoûtant par son rythme, la beauté de ses images et de ses thèmes, L’Arbre évoque aussi bien le cinéma de Béla Tarr que différentes influences majeures, mais garde toute sa singularité, son originalité et sa force. Du cinéma exigeant, radical, mais aussi régénérant et source d’éveil pour qui accepte de se laisser apprivoiser par un univers unique, à la fois désespéré et empreint d’une spiritualité qui exalte la force de vie. 

Bande-annonce

26 mai 2021 – De André Gil Mata, avec Petar FradelićFilip Živanović