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L’ANGE ROUGE


En 1939, pendant la guerre sino-japonaise, l’infirmière Sakura travaille dans un hôpital en soignant des soldats blessés. Un soir, elle se fait agresser par un groupe d’hommes repartant au front le lendemain. Quelque temps après, elle retrouve l’un de ses agresseurs dans un hôpital de campagne. Elle convertira sa vengeance en pitié, et cherchera à soulager les malades par tous les moyens…

Critique du film

1931, le Japon de l’empereur Hiro-Hito envahit la Mandchourie. La seconde guerre sino-japonaise, théâtre du film, a duré 8 ans, tuant plus d’un million de soldats japonais et 9 millions de civils chinois auxquels ajouter 3 millions de soldats. C’est au cœur de cet enfer que Yasuzō Masumura place sa caméra, à proximité du conflit qui reste, hors la fin du film, hors champ. Ce sont les conséquences de la guerre que filme le réalisateur japonais, à travers les yeux de l’infirmière Sakura, dévouée corps et âme à son métier. L’ange rouge c’est elle, une femme d’une force exceptionnelle à laquelle Ayako Wakao prête son audacieuse beauté. D’abord humiliée par un groupe de soldats en quête d’amusement et de sensations – la scène est esquissée, soustraite à la caméra, laissant présager le pire – Sakura va dépasser son traumatisme dans une volonté d’abnégation totale.

L'ANGE ROUGE

Redonner vie à la chair

Bientôt la femme et l’infirmière ne font qu’un. Masumura filme l’hôpital de guerre à mi-chemin entre la boucherie et l’abattoir. Dépassé par le nombre de victimes, en manque de tout, le corps médical ampute à la chaîne des corps menacés par la gangrène. S’enchainent d’effroyables séquences, où le noir et blanc de l’image devient noir sur blanc, le rouge du sang maculant les blouses de toutes parts, et où le son des scies semble déchirer l’atmosphère chargée de terreur. Sakura seconde le Docteur Okabe, homme consommé par le conflit, qui exerce par devoir, à bout de nerfs et d’espoir.

Quand le soldat Sakamoto arrive à l’hôpital, son cas est désespéré. Sakura reconnaît un des hommes qui l’ont avilie. À rebours d’une vengeance qui se justifierait, elle plaide son cas auprès du Docteur Okabe, qui finit par accepter de réaliser une transfusion à la seule condition qu’elle lui rende visite dans sa chambre. La relation qui se noue alors entre le médecin et l’infirmière se transforme en passion contrariée. Devenu morphinomane, Okabe a perdu sa virilité, il ne peut rien donner à Sakura. C’est un homme perdu que la jeune femme se met en tête de rendre à la vie.

L'ANGE ROUGE

Sacerdoce et sacrifice

Le thème de l’impuissance masculine traverse le film comme une plaie que la guerre inflige à ceux qui la font. L’épisode avec le soldat amputé des deux bras annonce la relation de dépendance qui sera, quelques années plus tard, au centre de Johnny Got His Gun, l’étendard antimilitariste de Dalton Trumbo. Sakura efface la frontière entre sacerdoce et sacrifice, et ne supporte pas que ces soldats soient victimes d’une double peine, d’abord blessés dans leur chair puis volontairement soustraits à leurs familles par propagande de guerre. Elle se comporte comme une sainte mais ne fait pas de miracles. Sakamoto est mort et l’homme sans bras se jette du toit de l’hôpital.

À la mort qui se répand comme un poison sur les zones de conflit, Musumara oppose l’intimité d’une chambrée où se joue, métaphoriquement, le sort de l’humanité. Sakura parviendra t-elle à refaire de Okabe un homme ? Les scènes du couple, dissimulées derrière des voilages, sont à la fois chastes et intenses, la dramaturgie à l’œuvre dépassant de beaucoup le simple cadre du plaisir charnel.

Parfait exemple du combat entre Eros et Thanatos, L’Ange rouge est un grand film transgressif, ample et intime, à la fois brûlot antimilitariste et drame érotique. Le film, inédit en France, constitue le point d’orgue de sa collaboration avec la grande Ayako Wakao, sa muse (20 films ensemble). Entièrement restauré, il nous parvient aujourd’hui dans son incroyable beauté.

Bande-annonce

2 novembre 2022 (ressortie) – De Yasuzō Masumura
avec Ayako Wakao, Yûsuke Kawazu et Shinsuke Ashida




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