JOURNAL DE TÛOA
Août 2020, une équipe de cinéma décide de vivre le confinement ensemble et d’en tirer, si possible, un film.
Critique du film
De cette expérience inédite que fut le confinement, il fallait bien que le cinéma en tire substance. Nous avions suivi avec intérêt les Lettres de cinéma mises en ligne par La Cinémathèque sur la plateforme Henri. Voici le premier long métrage issu de cette période, délicieuse chronique aux accents rivettiens. Le film travaille la contrainte au point de convertir la claustration en ouvroir de cinéma potentiel. Il en résulte une comédie exquise de modestie dont les appâts loufoques entraînent le spectateur dans sa bulle estivale.
Du journal, Maureen Fazendeiro et Miguel Gomes ont gardé la scansion mais ils ont choisi de le dérouler à rebours. Ce pourrait être une facétie mais ici la construction inversée alimente la perception d’un temps déréglé telle que nous l’avons ressenti dans nos vies confinées. Cette construction en forme de compte à rebours impose d’emblée une limite connue. Elle est conforme à une expérience de tournage, exercice à contrainte par excellence inscrit par nature dans une durée. Le confinement en revanche, a eu pour spécificité de nous plonger dans une temporalité sans borne. Heures à jouir ou à tuer, jours indistincts, repères à reconstruire et horizon flou ont contribué à questionner nos vies faites d’habitudes, de rendez-vous et de boucles confortables.
Récit d’une dilatation
Une scène à l’endroit, une maille à l’envers, le film détricote son propre objet et reconstitue une pelote dont un étrange mammouth laineux pourrait servir de patron. Ainsi le récit fait advenir ce qui a disparu dans un mouvement qui finit par confondre le récit fictionnel et la narration du tournage.
Un coing retrouve peu à peu sa verdeur, fil rouge d’un temps retrouvé et bel hommage au Songe de la lumière de Victor Erice.
L’esprit de groupe prévaut lorsqu’il faut vider une piscine, il est remis en question quand un acteur a fait une entorse à la règle de confinement pendant un jour de repos.
Le film n’est pas, fort heureusement, qu’une simple mécanique et l’étude de son grippage. C’est aussi et surtout l’inscription d’un groupe dans un lieu, la manière dont le second affecte et anime les membres du premier. Chorégraphie des circulations et respect des discussions témoignent d’une recherche d’harmonie dans le chaos.
Les personnages construisent une volière pour offrir un nouveau terrain de jeu aux papillons. Journal de Tûoa est le récit d’une dilatation spaciotemporelle. Dans leur laboratoire à ciel ouvert de Cintra, Fazendeiro et Gomes polissent un matériau de fiction expansée pour remplir les creux d’un été confiné. Les trois comédiens, Crista Alfaiate, Carloto Cotta et João Nunes Monteiro se glissent parfaitement dans un jeu de création et de désir. Procédant par saynètes, le film souffle une brise d’insouciance et de poésie absolument délicieuse.
Août ou Tûoa, à l’envers ou à l’endroit, est le seul mois de l’année dont le chiffre se lit aussi en miroir. Qu’on s’amuse à le renverser et voilà que le symbole de l’infini apparaît, une raison comme une autre (la grossesse de Maureen par exemple) de parier sur l’avenir. Création et désir, les deux se rejoignent dans une ultime boucle qui raccorde l’incipit et la conclusion autour des corps dansants. Furieuse est alors l’envie de les rejoindre.
Bande-annonce
14 juillet 2021 – De Miguel Gomes, Maureen Fazendeiro, avec Crista Alfaiate, Carloto Cotta