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BLUE GIANT

La vie de Dai Miyamoto change lorsqu’il découvre le jazz. Il se met alors au saxophone et s’entraîne tous les jours. Il quitte Sendai, sa ville natale, pour poursuivre sa carrière musicale à Tokyo avec l’aide de son ami Shunji. Jouant avec passion, Dai arrive un jour à convaincre le talentueux pianiste Yukinori de monter un groupe avec lui. Accompagné de Shunji qui débute à la batterie, ils forment le trio JASS. Au fil des concerts, ils se rapprochent de leur but : se produire au So Blue, le club de jazz le plus célèbre du Japon, avec l’espoir de changer à jamais le monde du jazz.

Critique du film

« Les groupes de jazz ne sont pas comme les groupes de rock, ils ne durent pas. Et les membres se servent les uns des autres pour obtenir une plus grande reconnaissance ». Cette remarque, glissée par l’un des personnages principaux au moment où ils décident de former un groupe de musique, était la promesse du futur déraillement d’un récit à l’apparence inflexible : celui de l’apprentissage et de l’épanouissement artistique d’un jeune homme déjà talentueux et pourtant acharné de travail, qui ne progresse que par sa volonté et l’appui de ses amis. La prophétie se réalise finalement, sans que cela influe sur la trajectoire toute faite de l’histoire. Le groupe formé par les trois protagonistes se disloque, certes, mais dans la franche camaraderie, à l’occasion d’un ultime concert dans le club de jazz le plus huppé de Tokyo. Les adieux à la scène se font sur le même ton d’extrême bienveillance que le reste de l’intrigue, avec de grands sourires et des larmes au coin des yeux, permettant au film d’échapper à un quelconque trouble, qui aurait pu être induit par la représentation des mécanismes de l’industrie musicale ou de certaines ambitions carriéristes au sein du groupe.

BLUE GIANT

Mais alors, qu’y a-t-il à voir dans Blue Giant au-delà de son mouvement d’un point A à un point B aussi cadré que celui d’un avion de ligne ? Peut-être une synthèse de ce qu’est l’animation japonaise contemporaine sur le plan visuel. Que ce soit l’abondant recours aux éclairages chauds, aux ambiances confortables, aux intérieurs tamisés regorgeant de détails et d’objets renvoyant parfaitement la lumière, tout semble mobilisé pour accueillir le spectateur à bras ouverts et construire un continuum où aucun élément, qu’il appartienne à la diégèse ou à la mise en scène, ne viendra perturber l’harmonie en place. Si le travail d’animation et de création des arrière-plans est tout à fait respectable, il est difficile d’y trouver des aspérités pouvant servir de points d’accroche, et de dépasser l’impression d’être face à un robinet d’eau tiède de la japanimation, qui parle beaucoup de la recherche d’une expression artistique personnelle mais peine énormément à la mettre en œuvre.

Les scènes de concerts, entièrement dédiées à l’écoute du jazz et à sa mise en image, entrouvrent pourtant quelques portes. Le choix le plus marqué est le recours à un autre type d’animation pour mettre en mouvement le trio de musiciens : le changement d’attitude sur scène se traduit littéralement par un changement de corps, puisque les personnages deviennent des modèles 3D en rupture avec leur environnement. Ils se meuvent également de manière différente, comme isolés dans leur propre sphère musicale. La métaphore est littérale mais a le mérite d’être incarnée… un temps seulement. Attaché à montrer la performance physique des membres du groupe et leur communication par l’oreille et le regard, le montage retourne bien vite aux visages et aux mains courant sur les instruments, représentés par une animation plane classique. Le va-et-vient entre les plans larges et rapprochés qui alternent entre les deux types d’images, loin d’instaurer un dialogue, semble vouloir dissimuler autant que possible une utilisation moins conventionnelle de l’animation pourtant impossible à ignorer. De la même façon, les séquences musicales sont égrainées de petits moments en électron libre (apparition soudaine de lignes de vitesse ou d’éclairs le temps d’un plan ou deux) qui ne s’installent jamais dans la durée, qui n’habitent pas la musique, pas plus qu’ils ne cohabitent avec elle. Les morceaux se concluent, laissant derrière eux de petits essais formels jetés dans le vide, comme autant de coups d’épée dans l’eau.

BLUE GIANT

L’ensemble, peut-être paralysé par un respect trop marqué envers la bande-son et les artistes qui ont composé les morceaux (Hiromi Uehara au piano, Tomoaki Baba au saxophone et Shun Ishiwaka à la batterie), ne concrétise donc rien. On attend longuement un accouchement, un accomplissement de quelque chose qui n’arrive jamais vraiment, malgré une surface visuelle et un récit qui souhaite raconter le contraire. C’est en cela que Blue Giant est difficile à prendre immédiatement en défaut, puisque le film ne fait jamais rien de mal mais ne se hisse pas non plus jusqu’à faire les choses bien. À l’image de son histoire ressassée mille fois, la mise en scène de Yuzuru Tachikawa relève davantage de la mise en boîte : un condensé, une moyenne des techniques, imageries, types de personnages, ressorts scénaristiques d’une production peut-être en forme sur le plan industriel, mais qui ne trouve pas vraiment le chemin du cinéma.

L’utilisation essentiellement illustrative du montage, qui accole des événements à la façon d’une série TV plutôt que de constituer des scènes comme un ensemble, en est le symptôme le plus frappant. Il se montre efficace pour servir une expérience confortable au spectateur et amener rebondissements et évolution de caractères tracées à gros traits. Pour ce qui est de l’expression vibrante de la musique, la passion de créer pour soi et de créer avec les autres, on repassera – ou on retournera aux imaginaires autrement plus libres de Inu-Oh et On Gaku.

Bande-annonce

6 mars 2024 – De Yuzuru Tachikawa
avec Yûki Yamada, Shôtarô Mamiya et Amane Okayama




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