Anais Demoustier & Emmanuel Mouret | Entretien
Caprice d’Emmanuel Mouret suit les (mes)aventures amoureuses de Clément, instituteur discret qui se voit impliqué dans un triangle amoureux qu’il n’a pas sciemment provoqué. Pour ce retour à la comédie romantique, genre qui a fait son succès (L’art d’aimer, Fais-moi plaisir, Un baiser s’il vous plait, etc), Mouret donne la réplique à Virginie Efira, sublime dans le rôle d’Alicia – actrice qu’il admire depuis tant d’années et qu’il finira par conquérir – et Anaïs Demoustier, valeur plus que montante du cinéma français. Entre mélancolie, incertitudes, humour de situation et maladresses, Caprice distille son humeur singulière pour un long-métrage charmant.
À l’occasion de la sortie du film, nous avons rencontré le réalisateur-acteur Emmanuel Mouret et la comédienne que l’on voit partout ces derniers mois, Anaïs Demoustier. L’occasion de revenir sur la dynamique du film, la candeur des protagonistes féminins dans la filmographie du cinéaste, l’ambiguité du personnage de Caprice, le choix de Virginie Efira pour incarner Alicia et l’actualité bouillonnante d’Anaïs Demoustier dont le dernier film vient d’être sélectionné à Cannes.
LBDM.fr : Dans vos films, le romantisme est souvent exacerbé, mais une mélancolie apaisante leur donne l’allure de rêveries confortables. C’est le cas dans Caprice, à ceci près qu’il se drape aussi d’un voile de désillusion…
Emmanuel Mouret : Je pense qu’il y a effectivement une proportion de désillusion dans le film mais aussi du rêve. Caprice parle d’un homme qui est avec la femme de ses rêves et qui devient le rêve d’une femme. Dès lors que l’on évoque le rêve, il y a aussi une part de désillusion. Mais le rêve reprend le dessus (il évoque la fin du film – ndlr) où l’homme n’apparaît pas désillusionné. C’est un couple qui se choisit et le rêve qu’il nourrit pour Caprice enfle, pour moi.
Votre personnage apparaît apaisé mais pas complètement serein…
E. M. : Clément est serein et en même temps ne l’est pas. C’était l’idée de cette fin que j’ai mis un certain temps à trouver. Il reste partagé. Cette fin lui donne raison car il a fait un choix mais elle donne aussi raison à Caprice qui est rentrée dans son coeur. Lorsqu’elle dit que « le coeur est élastique, on peut y rentrer à plusieurs », la fin du film indique qu’elle a raison.
Anais, votre personnage justement parait plus imprévisible. Vous êtes la tornade du film, fraîchement désinhibée et impulsive, et pourtant assez fragile… Comment avez-vous appréhendé ce rôle clé car central pour le film ?
Anais Demoustier : Ce qui m’a plu dans Caprice, c’est ce côté excessif. J’ai aimé ce personnage et sa façon d’être très premier degré dans son attitude. C’est une amoureuse, elle est prête à tout. Elle aime profondément Clément et a le sentiment que cet amour mérite d’être vécu. J’ai aimé son côté « too much », le fait qu’elle soit trop présente, envahissante pour lui et en même temps très généreuse à son égard. J’ai connu des gens comme elle, pétris de bonnes volontés mais excessif.
Le coeur est élastique, on peut y rentrer à plusieurs.
Le film est rempli de paradoxes renvoyant à la dichotomie du personnage : grain de sable et force vive, égoïstement invasif mais bienveillant et altruiste. On retrouve même de nombreuses connotations, positives comme négatives, derrière le titre « Caprice »…
E. M. : Parfaitement. Pour moi, le personnage de Caprice est déstabilisant dans le sens où on ne sait jamais sur quel pied danser avec elle. Sauf peut-être sur la fin… et encore. C’est un personnage que l’on peut percevoir d’un côté comme absolument sincère, mais du fait qu’elle soit actrice, du fait de ne pas avoir toutes les informations sur elle, du fait de son tempérament excessif, on peut faire d’innombrables suppositions à son sujet. Elle représente une sorte de mystère que l’on pourrait voir sous différentes facettes sans jamais s’en lasser. On a envie de l’observer…
D’un côté il y a Caprice, de l’autre Alicia. Parlons du choix de Virginie Efira pour l’interpréter. Elle est formidable dans ce rôle, fascinante et fragile, rayonnante et vaporeuse… À quel moment avez-vous pensé qu’elle serait parfaite pour incarner Alicia ?
E. M. : Outre sa beauté et sa classe, j’aime beaucoup le regard de Virginie Efira qui transmet énormément de choses. Dans son regard, on peut y lire la gentillesse, de la tendresse. Il fallait qu’Alicia soit une très belle femme mais qui puisse laisser paraître l’attendrissement qu’elle ressent face à cet instituteur, modeste et plutôt maladroit. Elle a ce truc dans ses yeux que je trouve très chouette. Virginie ne regarde jamais personne de haut, elle s’étonne toujours de façon positive. Je trouvais que c’est ce qu’il fallait au personnage d’Alicia.
Outre sa beauté et sa classe, j’aime beaucoup Virginie Efira pour son regard.
Emmanuel, vos personnages féminins sont souvent candides, convoquant le charme d’Audrey Hepburn ou la sensualité de Marilyn Monroe. On retrouve ces deux facettes chez Caprice et Alicia. Aimez-vous dépeindre vos protagonistes féminins comme des figures iconiques ?
E. M. : Oui… Je disais récemment que je pensais à Shirley MacLaine en écrivant Caprice. C’est une comédienne que j’adore, elle incarne l’innocence et le caractère. J’aime cette candeur. Ce que j’aime chez mes personnages est que ce sont des gens qui ne jugent ni les choses ni les gens à l’avance. Du coup, ils nous livrent leurs pensées, leurs ressentis. Et puis c’est vrai qu’Audrey Hepburn est pour moi une icône absolue.
Anais, aviez-vous en tête cette vision du travail d’Emmanuel ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler sous sa direction ?
A. D. : Ce sont ses films et sa personnalité qui m’ont donné envie de travailler avec lui. Sur le tournage, il m’a parlé d’Audrey Hepburn justement et je lui ai demandé d’arrêter de l’évoquer de peur que cela ne me paralyse… (Elle rit). Comment devenir Audrey Hepburn en un clin d’oeil ? C’est impossible ! Quand je joue, j’essaie de ne pas penser à de telles figures, même si elles peuplent notre imaginaire.
Parlons de votre parcours. Même si cela fait plus de dix ans que vous tournez vos derniers mois ont été très riches (Bird People, À trois on y va, Une nouvelle amie), comment les avez-vous vécus ? Avez-vous senti un déclic ?
(Elle sourit)
A. D. : C’est vrai que j’ai commencé à tourner il y a longtemps… Et depuis l’âge de 18-19, je tourne régulièrement. Du coup, je n’ai pas senti de changement s’opérer. Mais il faut dire que j’ai fait des films restés assez confidentiels, qui ont été peu vus. Récemment, les gens ont l’impression de me découvrir alors que cela fait un bon moment que je travaille, ce qui fait que je ne perçois pas d’explosion particulière… Désormais, les films dans lesquels je joue sont plus vus, davantage exposés et je m’en réjouis ! C’était assez difficile de faire des films qui n’avaient finalement qu’une exposition réduite, cela me faisait de la peine que mes films sortent aussi peu. Je suis ravie d’être dans des films que les gens vont voir, ça me fait vraiment plaisir.
Comment avez-vous reçu la sélection du film de Valérie Donzelli (Marguerite et Julien – ndlr) au Festival de Cannes ?
A. D. : Quant au festival de Cannes, c’est très excitant. C’est génial car le film de Valérie (Donzelli – ndlr) était une expérience incroyable pour moi. Franchement, je suis ravie et j’en profite. D’ailleurs, j’ai un grand sourire, un peu niais sur mon visage comme vous pouvez le constater… (Elle éclate de rire).
Plus sérieusement, j’en profite, vraiment. C’est un métier où on se dit que tout peut s’arrêter du jour au lendemain, c’est un métier aléatoire qui nous amène à douter constamment. Du coup, lorsque cela se passe bien, il faut savoir l’accueillir comme il se doit et en profiter.
En tout cas, nous vous souhaitons de continuer sur cette voie et avons hâte de voir vos prochains films… (Elle sera également à l’affiche du nouveau film de Christophe Honoré, Les malheurs de Sophie, aux côtés de Golshifteh Farahani et Muriel Robin – ndlr) .
A. D. : Merci beaucoup, je vais essayer.
Une dernière question pour Emmanuel… Vous semblez vous épanouir avec cette double-casquette réalisateur / acteur. Vous n’aviez pas joué dans Une autre vie, votre film précédent. Avez-vous senti le besoin de retrouver le jeu ? Etait-ce prévu dès l’écriture du scénario ?
E. M. : Cela ne s’est pas imposé à l’écriture mais après. Lorsque je fais la distribution des rôles, je donne la réplique aux acteurs que je caste. J’aime faire un certain nombre de lectures avec mes comédiens. Cela s’est imposé à ce moment-là, avec les encouragements de mon producteur et de mes comédiennes. D’ailleurs, Anaïs m’a répété « Il faut que tu le joues, il faut que tu le joues ».
A. D. : Oui, pour moi, Emmanuel incarne vraiment l’esprit de ses films.
E. M. : Je n’ai jamais d’assurance définitive quant au fait de jouer dans mes films. Je rêverais de trouver un alter-égo pour prendre ma place à l’écran.
A. D. : C’est vrai que même en y réfléchissant, je ne vois pas qui pourrait faire l’affaire dans le cinéma français…
E. M. : Ça viendra peut-être un jour ? (Il sourit).
Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir, le 22 Avril à Paris.
La fiche
CAPRICE
Réalisé par Emmanuel Mouret
Avec Emmanuel Mouret, Virginie Efira, Anais Demoustier…
France – Comédie romantique
Sortie en salle : 22 Avril 2015
Durée : 100 min