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THOMAS VINTERBERG | Interview

Après un passage au festival Lumière 2020 où il était honoré, en présence de son ami et comédien Mads Mikkelsen, Thomas Vinterberg s’offrait une halte parisienne pour présenter son dernier long-métrage, l’excellent Drunk (sélectionné au festival de Cannes) qui aurait clairement eu sa carte à jouer dans le palmarès final.

Pour Le Bleu du Miroir, il revient sur ce long processus de gestation du film, sa collaboration avec le scénariste Tobias Lindholm et le comédien Mads Mikkelsen, sur les choix scénaristiques qui se sont imposés, et se confie sur sa peur de la routine qui vampirise le quotidien. 


Lors de notre dernière entrevue, vous évoquiez déjà ce projet de film en forme de « célébration de l’alcool ». On imagine aisément que celui-ci a évolué en cours d’écriture, notamment avec la participation du scénariste Tobias Lindholm…

Thomas Vinterberg : Comme vous dites, cela a commencé par l’idée de célébrer l’alcool. Une provocation quelque part. Mais je suis devenu curieux sur cette substance autorisée par la loi, qui peut transcender les personnes. De grandes décisions ont été prises sous l’emprise de l’alcool, par de grands leaders de ce monde. Mais cela peut aussi détruire des familles.

J’avais l’ambition de faire un film sur le fait de vivre. Ces quatre hommes en sont à un moment de leur vie où ils sont figés dans la répétition, affublés par le manque de curiosité, d’inspiration et de prise de risques. Avec toute l’amertume qui en découle. Ils se battent pour reprendre possession de tout ça. J’espère que c’est un film d’affirmation de la vie.

Le film peut toucher peu importe l’âge que l’on a, même si l’on est plus jeunes que les protagonistes à l’écran…

T. V. : Au Danemark, de jeunes adolescents sont même amusés par ces enseignants alcoolisés… Mais, il y a de nombreuses familles qui subissent les ravages de l’alcool, aussi. Il y a deux films en un.

Pouvez-vous nous parler du processus d’écriture avec Tobias Lindholm, que vous retrouvez une nouvelle fois ?

Je suis arrivé avec l’idée. Nous travaillons comme une équipe de cyclisme. J’ai lancé le processus. Parfois, j’écris dix pages sans regarder en arrière, sans me relire ou supprimer des passages. Il repasse derrière. Et inversement. Nous avons passé beaucoup de temps à nous réunir, à discuter de ce que l’on pose sur papier, du concept du film.

Tobias c’est un peu l’homme qui nettoie. Tandis que je suis plutôt celui qui pourrait tout jeter à la poubelle. Ce film a été difficile à écrire, avec le sentiment que l’on n’atteindrait pas notre but. Il faut épurer beaucoup de choses. J’avais plein d’idées mais que l’on n’a pas toujours pu conserver, parce qu’elles étaient maladroites. Il y a avait un élément de naïveté. On voulait atteindre une certaine véracité, sans trop teinter le film.

On a presque envie de vous demander si vous avez bu en travaillant…

Nous n’avons pas servi d’alcool sur le tournage. Mais on a bu de l’alcool durant les répétitions. On a beaucoup ri en faisant les essais. Normalement, on dissimule les choses lorsque l’on joue. Si l’on est amoureux, on la joue assez cool. Quand on est ivre, on tente de ne pas montrer que l’on est, en se tenant bien droit. Cela fonctionne plutôt bien… jusqu’à 0,8% où ça devient beaucoup plus expressif.

Et puis il y avait la question pratique. Quand on est à ce taux d’ébriété élevé, on tombe plus facilement, on ne pense pas forcément à se protéger. Nous avons engagé des doublures pour ça. Jouer un personnage ivre à l’écran est en fait assez délicat pour ne pas trop en faire. Et puis, les yeux vous trahissent. Nous devions mettre des gouttes dans les yeux des acteurs pour simuler leur ébriété. Ce n’était pas très agréable pour eux d’ailleurs…

Les enseignants de vrais héros.

L’alcool est généralement utilisé au cinéma, et en narration de manière générale, pour dire quelque chose socialement d’un personnage. Mais dans Drunk, l’alcoolisme est retiré de tout caractère social, plutôt comme un mantra. D’où vous est venue cette approche philosophique ?

Ecrire sur l’alcool, ce n’était pas facile. J’étais conscient de sa dimension dramatique. Puis j’ai réalisé que ce n’était pas un film sur l’alcool mais prendre des risques dans une vie répétitive. J’ai ainsi voulu que ce soit des enseignants qui réalisent une expérimentation.

De 2013 à tout récemment, je ne savais pas comment mettre en forme cette idée de film sur l’alcool. Quand j’ai pris conscience de la dimensuon humaine, cela a commencé à fonctionner. L’élément de répétitivité s’insinue dans la vie de chacun. Encore plus lorsque l’on est enseignant…

Je n’ai pas de mal à l’imaginer…

Les enseignants de véritables héros. Ils se prennent des chocs chaque jour. Si l’on montre un brin de faiblesse, on se fait dévorer. Cela fonctionnait très bien avec le fait d’en faire des enseignants. La répétition est un ennemi qui donne naissance à la paresse.

Il faut se réinventer constamment. Pour ne pas tomber dans la routine… 

Exactement. Et même en ce qui me concerne. Je peux enchaîner parfois les interviews et redire des choses similaires… Et il y a cette peur de tourner en rond.

Drunk Mads Mikkelsen

Vous retrouvez Mads Mikkelsen et lui offrez à nouveau un rôle formidable… Qu’est-ce qui vous plait chez ce comédien et l’aviez-vous en tête dès l’écriture ? 

Oui. J’ai écrit le film avec mes quatre acteurs en tête. Ce sont tous mes amis. On les appelait par leur prénom jusqu’à quelques semaines du tournage. On a du leur trouver un prénom pour le film car ces personnages que l’on voit à l’écran n’ont rien à voir avec ce qu’ils sont dans la vraie vie. Mads Mikkelsen n’est pas enseignant, il a une belle vie, très confortable.

J’aime écrire pour des gens que je connais, j’aime ça. Maintenant, ils ont tous une belle carrière et ils ont besoin d’un scénario achevé avant d’accepter (il rit).

(les questions suivantes révèlent quelques éléments de l’intrigue)

Au sujet de la dernière scène, est-ce que votre intention de profiter de sa formation de danseur s’est manifestée très en amont ? 

Je voulais représenter combien le fait de boire peut être libérateur. Et Mads sait danser. J’ai toujours voulu le faire danser. J’ai travaillé énormément pour conserver cette scène dans le scénario. Plusieurs fois, Tobias et moi avons douté. Il ne fallait pas que ça fasse « trop ».

La chorégraphie de la scène traduit bien l’état d’esprit du film. Il danse un peu, puis se retire. Il danse à nouveau davantage, puis se retire… Et finalement, il s’abandonne complètement. Ce fut un peu comme ça que nous avons écrit le film avec Tobias finalement.

Toujours vers la fin du film, il y a cette utilisation de cartons pour mettre le spectateur dans la confidence des échanges de SMS du personnage de Mads avec son épouse. Quelles étaient vos intentions ?

J’ai voulu faire une scène sur ce rapprochement… Cela ne marchait pas. Soit on faisait cette scène, soit on faisait celle de la danse. J’aime l’effet méta de cette séquence. On a un homme qui perd un ami, et qui retrouve sa femme. C’est lui m’intéresse à ce moment là et ce qu’il ressent. Je n’avais finalement pas besoin d’elle dans la scène…

Et pourtant quelques mots à l’écran produisent un véritable effet bouleversant…

(Il cite le film) Est-ce que vous parlez de ce dialogue ? Je suis content si cela fonctionne. J’ai beaucoup bataillé pour trouver le juste équilibre.

On a reçu de très belles critiques sur le film mais certaines regrettaient qu’on ne ressentait pas l’histoire d’amour. Je ne comprends pas trop… Quand il reçoit ces messages, on grandit avec lui. Leur amour résiste.


Propos recueillis, traduits et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir
Crédits photo portrait : Anders Overgaard / Haut et Court



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