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Jean-François Stévenin, funambule et dynamiteur

Jean-François Stévenin est mort et la vie paraît soudain moins intense. Acteur électrique et réalisateur culte, il aura traverser un demi-siècle du cinéma français comme un funambule. Stévenin, c’était le second rôle dynamiteur de scène. Une silhouette trapue, souple et puissante, une voix chaude et un regard azur, dur et tendre à la fois. Une boule de séduction rustique. D’une expressivité folle, le visage de Jean-François Stévenin pouvait vous glacer d’un simple haussement de sourcils et la seconde d’après vous rassurer avec un sourire désarmant. Un sourire traversé par l’enfance, accroché à deux fossettes, deux puits de complicité. 

Il suffisait que Stévenin ouvre une porte et c’était le début d’une aventure. 

On appelle ça une présence. Difficile aujourd’hui de croire à son absence.

Avant d’apparaître à l’écran, il a fait, en autodidacte (il était diplômé d’HEC), tous les métiers du cinéma au service de François Truffaut, Jacques Rozier, Jacques Rivette ou Alain Cavalier. Les tournages de Jacques Rozier étaient des épopées dont il était devenu le plus grand conteur. Les deux ont en commun d’avoir peu tourné. « Jacques Rozier a quasiment toujours préféré la vie au cinéma. Ça lui a coûté des films mais ceux qui existent sont imprégnés de cette liberté » peut-on l’entendre dire dans un supplément dvd des Naufragés de l’île de la tortue. Effet miroir… 

C’est avec Truffaut que Stévenin trouve ses premiers rôles marquants, dans La Nuit américaine puis L’Argent de poche et son bouleversant discours aux enfants à la fin de l’année scolaire : « parce que la vie est ainsi faite qu’on ne peut pas se passer d’aimer et d’être aimé ».

Sitôt le tournage du film terminé en Auvergne, il rejoint le Jura où il entraîne avec lui Yann Dedet et Stéphanie Granel (respectivement chef et assistante montage). Il faut lire Le Point de vue du lapin : le roman de Passe montagne (Editions P. O. L., 2018) récit par Yann Dedet d’une aventure qui va bien au-delà du cinéma. À 35 ans, Stévenin devient réalisateur, il invente un cinéma sans balise, à la recherche d’un souffle, de sa propre grammaire. Passe montagne est l’histoire d’une double rencontre, celle entre deux hommes puis celle entre le film lui-même et les indigènes. Double messieurs (1986) puis Mischka (2002) suivront. Trois films devenus cultes, parcourus par un esprit buissonnier, animés par un feu intérieur. Une liberté qu’il vénérait chez Cassavetes. Après Mischka, il a caressé d’autres projets mais les tournages le consumaient littéralement et il pensait qu’il n’aurait plus la force. On avait la faiblesse de ne pas le croire.

L’acteur a continué de tourner, se baladant dans toutes les familles du cinéma français avec une prédilection pour les chemins de traverse, apportant toujours un supplément d’âme à ses personnages, que ce soit chez Bouchitey, Rochant, Laetitia Masson, Mocky ou René Féret qui lui offrit peut-être son plus grand rôle dans Il a suffi que maman s’en aille. Stévenin y est immense de sensibilité rentrée en père maladroit qui essaie de rattraper le temps perdu avec sa fille. Un rôle de père qui lui collait à la peau, il était devenu le patriarche de la tribu Stévenin, une famille de saltimbanques avec ses enfants de la balle : Sagamore, Salomé, Robinson et Pierre. 

Acteur physique mais pas vraiment colosse, ni absolument séducteur, ni complètement intellectuel, Stévenin était pourtant tout cela à la fois, personnage terrien et lunaire, poète et paysan, notre Steve McQueen jurassien. 

Le Stévenin s’en est allé rejoindre la combe magique où il doit déjà, avec son imitation de Godard, amuser les Indiens.

 

Jean François Stévenin 

 




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