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UTAMA : LA TERRE OUBLIÉE

Dans l’immensité des hauts plateaux boliviens, Virginio et Sisa veillent sur leur troupeau de lamas. Jusqu’ici, rien n’a pu les détourner de cette vie âpre, héritée des traditions : ni leur âge avancé, ni le départ des habitants de la région, chassés par la sécheresse. Aussi accueillent-ils avec méfiance la visite de Clever, leur petit-fils de 19 ans, venu les convaincre de s’installer en ville avec le reste de la famille. Réticent à l’idée de quitter sa terre, Virginio se montre inflexible. A tel point que le jour où il tombe gravement malade, il décide de le cacher à Sisa et Clever…

Critique du film

Utama, la terre oubliée d’Alejandro Loayza Grisi est tout d’abord l’histoire d’une disparition. La petite communauté vivant sur l’altiplano bolivien est montrée comme vieillisante et très clairsemée. Il ne subsiste que quelques couples très âgés qui refusent de quitter leur terre et leurs traditions. Au cœur du film se trouvent Virginio et Sisa, subissant une aridité implacable qui assèche les puits et met en péril la subsistance de leur foyer et de leur troupeau de lamas. Si la tonalité du film est de prime abord tout ce qu’il y a de plus naturaliste, elle cache en creux un onirisme des plus surprenants, qui participent à la fois de la nature omniprésente, mais aussi de ces lamas aux petits rubans de couleurs déambulant dans la fournaise des hauteurs sud-américaines.

Ce désert andin est fascinant et magnifié par un attrait tout particulier accordé à l’image. Le réalisateur Alejandro Loayza Grisi a fait ses premiers pas dans la photographie avant de bifurquer vers le cinéma en devenant chef opérateur. On reconnaît cet intérêt aigu dans chaque plan, permis également par la présence de celle qu’il considère comme la meilleure directrice de la photographie sud-américaine, Barbara Alvarez. Grâce à leur travail c’est tout le contraste de la lumière qui éblouit l’écran, révélant la beauté mais aussi la cruauté d’une situation géographique qui asphyxie toute une communauté vouée à cesser d’exister.

Ce constant se matérialise par la présence de Clever, le petit-fils de Virginio et Sisa, venu de La Paz, la capitale bolivienne, avec pour projet de ramener ses aïeuls avec lui. Cette opposition générationnelle est le témoin du différentiel gigantesque qui sépare ces habitants des marges de la Bolivie d’avec la population citadine habituée à un certain confort matériel. Le grand-père et son petit-fils ne se comprennent pas, ils ne parlent pas la même langue, au propre comme au figuré. Virginio répugne à utiliser l’espagnol, il préfère s’exprimer en quéchua, et il affectionne la rusticité de ses journées, chaque détail ayant son importance dans une vision du monde animiste et bordée de légendes.

Utama
Néanmoins, le portrait que dresse l’auteur n’est pas fondé sur un constat simpliste qui vanterait les vertus d’une société traditionnelle et économe face à un faste des villes fait de superficialité. Il présente au contraire une histoire gorgée d’ambiguïté et de détails troublants. Virginio est dépeint sous un jour inflexible, il refuse d’avouer sa maladie à sa femme et son petit-fils, se drapant dans une fierté qui le conduit à une mort certaine. Son attitude vis-à-vis de Sisa témoigne de rapports très inégalitaires dans le couple, la place de la femme étant très subordonnée au devenir de son mari. Utama est tout à la fois l’expression de deux visions très différentes du monde, mais aussi de deux radicalités presque antagonistes qui se combattent férocement.

Ce motif de la disparition du monde paysan avec un exode rural de plus en plus fort, se retrouve sur tous les continents, que ce soit dans le cinéma social catalan de Carla Simón (Alcarràs), ou en Chine avec Li Ruijun (Le retour des Hirondelles), et ici dans les hauteurs andines boliviennes. Ces rappels d’un amour d’un autre mode de vie, à rebours d’une économie mondialisée qui épuise les ressources naturelles d’un monde à l’agonie d’être surexploité, sont particulièrement bien illustrés par cette belle histoire bolivienne où la sécheresse joue le rôle d’accélérateur de mort pour une population déjà mise à mal par un recul incessant de la ruralité.

Bande-annonce

11 mai 2022 – De Alejandro Loayza Grisi, avec José Calcina, Luisa Quisle et Santos Choque.




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