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SI TU TENDS L’OREILLE

Shizuku Tsukichima, une collégienne de 14 ans, est une jeune fille rêveuse qui adore les romans et les contes. Elle emprunte souvent des livres à sa bibliothèque. Mais un jour, sur les fiches d’emprunt des romans, elle remarque qu’un mystérieux Seiji Amasawa lit exactement les mêmes ouvrages avant elle. Shizuku décide alors d’en savoir plus sur cet inconnu et fait par hasard la connaissance d’un jeune garçon qu’elle trouve tout d’abord très exaspérant… Quelle n’est pas surprise lorsqu’elle découvre qu’il s’agit de Seiji Amasawa…

Critique du film

Les années 1990 marquent une période faste pour le studio Ghibli : les fondateurs de la société, Isao Takahata et Hayao Miyazaki, réalisent respectivement Pompoko (1994) et Princesse Mononoke (1997), qui sont d’immenses succès tant du point de vue commercial que critique. Approchés par des distributeurs internationaux, les deux cinéastes acceptent avec réticence une diffusion de leurs œuvres en dehors de l’archipel japonais. Celle-ci reste encore limitée, mais permet aux réalisateurs d’obtenir une reconnaissance auprès d’un public spécialisé, notamment grâce à leur sélection au festival international du film d’animation d’Annecy.

Fort de ces réussites, le studio entreprend de nouveaux projets s’éloignant de ses productions habituelles, comme la participation au character design du jeu vidéo Jade Cocoon sur PlayStation ou la réalisation d’un film pour la télévision japonaise en 1993. Cette effervescence conduit la société à s’ouvrir davantage à de nouveaux talents. C’est ainsi que Yoshifumi Kondō, animateur vu à l’époque comme le futur successeur de Hayao Miyazaki, se retrouve à la tête de Si tu tends l’oreille, le premier long-métrage cinéma de Ghibli à ne pas être mis en scène par l’un des deux fondateurs du studio. Cette adaptation du manga de Aoi Hiiragi sera malheureusement l’unique film de Kondō, qui disparaîtra prématurément en 1998. Il laisse derrière lui une œuvre singulière, empreinte du désir d’aventure propre aux histoires de Miyazaki, mais qui conserve néanmoins une approche plus terre à terre.

Si tu tends l’oreille est mû par une forme de mystère vaporeux rappelant fortement le cinéma de Jacques Rivette. Le récit se caractérise par son cadre spatio-temporel restreint, le quotidien ordinaire d’une collégienne passionnée de lecture dans la banlieue de Tokyo, et le peu d’actions significatives qui le ponctuent. Pourtant, le film distille quelque chose d’assez subtil et intrigant par la mise en scène des différents temps de la vie de son héroïne, Shizuku : le temps du voyage en train, le temps du repas en famille ou encore le temps du choix d’un livre à la bibliothèque. Par le biais de la chanson Country Roads, que la jeune fille souhaite adapter en japonais et qui revient plusieurs fois sous différentes formes, le récit ménage des moments d’écoute pendant lesquels la place du spectateur se superpose à celle des personnages. C’est un temps de réception, de captation des éléments du monde, qui est facilité par la grande beauté des arrière-plans et le nombre de détails que l’on redécouvre à chaque nouvelle image. Ainsi, les premières scènes, malgré leur simplicité apparente, s’apprécient comme toutes les tranches de vie pour leur inconséquence, mais dessinent en même temps l’horizon psychologique du personnage principal : l’attente – ou le besoin – timide et presque inconscient du surgissement d’un événement spécial.

Si Tu Tends L'Oreille

© 1995 Aoi Hiiragi Shueisha – Studio Ghibli – NH

C’est l’incursion d’un élément romanesque dans le récit – la récurrence d’un nom masculin sur les fiches des livres empruntés par Shizuku – qui éveille finalement l’imagination de la jeune fille et lui offre une épice supplémentaire pour apprécier la saveur du monde. Yoshifumi Kondō suggère assez finement que l’aventure se niche là où on veut bien la trouver, et cette sensibilité nouvelle mène l’héroïne à découvrir une boutique d’antiquités reculée mais remplie de merveilles en suivant un peu au hasard un chat sortant d’un wagon de train. Cette rencontre, comme tous les éléments clés du récit, est incongrue mais pas irréaliste. Les pistes suivies par Shizuku, si elles n’aboutissent pas à la découverte d’un monde fantastique attenant au sien, montrent que plus de choses qu’on ne le croit se produisent autour de nous et qu’il suffit d’un peu d’esprit pour les remarquer et les apprécier. Le cheminement jusqu’à la boutique prend ainsi un caractère merveilleux, simplement parce qu’il est inédit et hasardeux aux yeux de l’héroïne : accompagner le chat dans l’étroit passage vers le sommet de la colline devient pour elle, le temps d’une scène, une promesse de curiosités aussi forte que celle de suivre le lapin blanc jusqu’au fond du terrier.

Une large part de l’intrigue se déroule ainsi avec l’impression légère que les événements, arrivés un peu plus tôt ou un peu plus tard, auraient pu provoquer des situations bien différentes. Néanmoins, un déclic amorçant le dernier tiers du film marque la fin d’un long tâtonnement, au cours duquel ni le spectateur ni l’héroïne elle-même ne savait vraiment ce qu’elle recherchait. Après de multiples trajectoires, l’aspect romanesque du récit finit par se confondre avec les désirs de la jeune fille, comme si le long-métrage et son personnage parvenaient enfin à entrer en résonance. Shizuku se rend compte de son besoin de création, de formuler à son tour un récit nouveau et d’extérioriser les rencontres, les expériences et les émotions auxquelles elle a été sensible jusqu’ici. Le projet d’écriture dans lequel elle se lance à corps perdu constitue le point d’orgue de l’intrigue et opère une réorganisation globale des événements du film, comme si le travail obstiné et fiévreux de l’héroïne permettait de parcourir les images à rebours et d’éclairer toutes les scènes par son aspiration jusqu’ici informulable mais riche de sens.

Si tu tends l'oreille

© 1995 Aoi Hiiragi Shueisha – Studio Ghibli – NH

Si tu tends l’oreille parle, sans pourtant trop en faire, de la nécessité de s’extirper quelque chose de la tête qui nous travaille depuis longtemps, de matérialiser ses idées, d’oser être productif et de franchir le pas pour se tester soi-même : on a beau connaître la maîtrise du studio Ghibli quand il s’agit de naviguer au milieu de grands sujets mélodramatiques, on demeure surpris comme la première fois de la justesse de son approche. Mais l’œuvre de Yoshifumi Kondō, plus que les autres, brille par sa capacité d’apaisement, en phase avec l’émotion de sa conclusion : il y a ce demi contentement du projet, fini mais imparfait, produit avec beaucoup d’énergie et plusieurs sacrifices. L’entourage de Shizuku souligne néanmoins la beauté de son travail, la production d’une pierre brute qui reste à polir avec le temps et la pratique.

Le long-métrage est ainsi parcouru de portes ouvrant sur l’imaginaire, que sa jeune héroïne déverrouille progressivement sans toutefois les franchir. La grande envolée fantaisiste qu’il y a habituellement dans le cinéma de Miyazaki est ici confinée au domaine de la fiction qu’invente le personnage principal. De cette façon, Yoshifumi Kondō recentre son propos sur l’appréhension du monde et les questionnements liés à l’acte de création, que l’on imagine bouillonnants lorsque l’on se voit confier pour la première fois la réalisation d’un projet du studio Ghibli. Le réalisateur n’oublie pas, à ce titre, de rendre un hommage très humble à ses pairs, puisqu’on rêve dans Si tu tends l’oreille d’écrire d’aussi belles histoires que ses prédécesseurs.


Bonus de l’édition Wild Side
Les décors de l’histoire du Baron, par Naohisa Inoue (4′) : un aperçu des décors surréalistes conçus par l’artiste Naohisa Inoue : des paysages mêlant nature et environnements urbains avec un trait évoquant le courant impressionniste, utilisés dans le film pour les séquences illustrant l’histoire inventée par Shizuku.
Les œuvres de Naohisa Inoue – Leur création de A à Z (34′) : ce moyen métrage révèle comment sont peintes les œuvres de Naohisa Inoue, en montrant étape par étape l’accumulation de nappes de peinture dont les nuances de couleurs font peu à peu émerger les formes du tableau.

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