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MONEYBOYS

Fei est un jeune homme habitant un petit village de campagne en Chine. Il se prostitue pour aider financièrement sa famille à subsister. Il rencontre Xiaolai, prostitué lui aussi, qui va devenir son guide dans ce milieu mais aussi son grand amour et le début d’une aventure sur plusieurs années.

Critique du film

Moneyboys est un projet qui a mobilisé beaucoup d’énergies aux origines diverses. Le réalisateur C.B.Yi, né en Chine, a passé toute son adolescence en Autriche et suivi les cours de mise en scène de Michael Haneke à l’université de Vienne. On retrouve aux postes techniques des professionnels de nombreux pays, un directeur de la photographie français, Jean-Louis Vialard, un monteur autrichien, et des techniciens venant de Chine ou de Taiwan. La somme des sensibilités au cœur du film crée une intimité au cœur brûlant où se distingue le personnage de Fei, jeune chinois qui vend son corps pour de l’argent.

C’est tout d’abord un sujet fort dont s’empare l’auteur, celui du travail du sexe dans la communauté gay dans un pays où la répression est forte à l’endroit des homosexuels. Cela se traduit dans l’histoire par des contrôles policiers, fouilles et maltraitances, qui planent en permanence au-dessus des têtes des protagonistes. Mais la violence la plus sourde est celle exercée par des clients problématiques, comme on le voit avec Bao, plus âgé et chef mafieux qui laisse ses stigmates de manière dramatique sur les corps de Fei et Xiaolai. Toute la première partie du film narre l’aspect le plus corporel et douloureux en termes physiques des activités des personnages.

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On découvre un Fei très jeune et inexpérimenté, mais aussi très déterminé à l’idée d’apporter tout son support à sa mère, malade. On ressent beaucoup de précarité chez cette famille, ce qui pousse Fei à choisir le travail du sexe comme solution la plus immédiate à leurs problèmes. Mais c’est également pour lui un marquage social très dur qui se retrouve en filigrane de tout le film, pour lui il n’y a plus de retour possible. Il est considéré comme traitre au sein de sa famille, anormal et même dangereux pour la réputation du clan.

Le film est découpé en deux parties distinctes, et la seconde marque l’affirmation de Fei, désormais très assuré, dégageant une aura impressionnante avec sa décontraction de façade et ce sentiment de contrôle permanent qu’on retrouve dans chacun de ses gestes. La direction artistique est à ce titre prodigieuse : dans la première partie, on a un climat poisseux où le vétuste côtoie le danger et la violence. Le deuxième temps est celui de la ville, de l’intérieur bourgeois de l’appartement de Fei, ses vêtements couteux et sa mise toujours parfaite.

Tous les choix de mise en scène sont nets et précis, dans un souci de cohérence qui traduit bien la filiation et l’influence d’un maître comme Haneke. Le choix du recours au plan-séquence, qui dynamise énormément l’action dans les scènes cruciales où la police vient perquisitionner chez Xiaolai, est d’une grande efficacité et permet d’aborder l’histoire par le regard de Fei. Blessé et effrayé, il doit prendre la fuite, qui ne semble devoir prendre fin qu’avec un éloignement inexorable. Là encore, on ressent fortement qu’un retour dans le berceau de l’enfance est désormais impossible.

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La révélation la plus frappante du film, au-delà d’un travail sur l’image absolument sublime, est celle de l’acteur Kei Ko qui incarne Fei, de tous les plans et de tous les regards. Sa composition subtile du personnage, avec un port de tête particulier et une majesté dans chaque geste, apporte une noblesse à Fei qu’on ressent dès les premiers instants et qui explose avec la maturité que prend le personnage dès qu’il est montré établi dans la grande ville. Kei Ko sublime son personnage par la gestion des silences, qu’il habite par son langage corporel et la qualité de son investissement du plan. Il infuse une énergie à ses scènes, mais aussi une mélancolie désarmante, détrompée seulement par la dernière scène qui n’est pas sans faire penser à l’ultime moment du Drunk de Thomas Vinterberg. Cette effervescence jusqu’ici contenue peut exploser pour laisser le spectateur sur une note pop et colorée qui tranche avec la tristesse qui ourle l’histoire avec beaucoup de force.

C.B. Yi a réalisé un véritable tour de force, que ce soit dans l’audace de sa thématique mais aussi dans la qualité de son écriture qui dresse des portraits saisissants de jeunes gens en proie aux difficultés de survivre dans une Chine toujours plus inégalitaire, entre un monde rural à l’agonie et des métropoles clinquantes où une classe aisée profitent d’une existence plus oisive et dispendieuse. En cela, on ne peut s’empêcher de penser aux premiers film d’Hou Hsiao Hsien et son chef d’œuvre, les Garçons de Fengkuei, qui montrait comme personne avant lui une radiographie d’une jeunesse en crise à Taïwan. Que Moneyboys soit co-produit par une société taïwanaise est un clin d’œil supplémentaire à cette influence majeure à laquelle C.B. Yi fait honneur avec son excellent travail que nous avons la chance de voir arriver dans les salles françaises.

Bande-annonce

16 mars 2022 – De C.B.Yi, avec Kai Ko, Bai Yufan et Lin Zhengxi.




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