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MEKTOUB, MY LOVE : INTERMEZZO

Synopsis : La fin de l’été approche, Amin et ses amis rencontrent Marie, une jeune étudiante parisienne.

La critique du film

La démesure et l’extravagance. Tels pourraient être les mots qui définissent le mieux le projet Mektoub d’Abdellatif Kechiche. Trois films fleuves, entre trois et quatre heures chacun, l’idée de filmer un été au sein d’une famille et leurs amis, avec un regard parfois problématique, mais aussi un génie de la mise en scène unique au monde. Pour bien comprendre ce qu’est Mektoub intermezzo, présenté en compétition officielle au 72ème festival de Cannes, il faut le restituer au sein de la structure définie par Kechiche.

Monstrueux

Intermezzo, c’est une parenthèse, un film séparant deux parties d’une histoire, un moment très court, concentré tout entier sur une nuit de fête dans une boite de nuit, à la fin de l’été 1994 dans la ville de Sète. Disons le d’emblée : Intermezzo est un film monstrueux, ceci dans toutes les acceptions du terme.

Tout d’abord, c’est un film problématique à bien des égards. Le fameux male gaze, le regard porté par les hommes hétérosexuels cisgenre sur le monde et les femmes en particulier, est poussé à son paroxysme. Kechiche radicalise encore plus son dispositif de mise en scène, braquant ses caméras sur les corps en permanence, sur ceux des femmes en particulier. Plongées, contre plongées, tout y passe pour détailler les fesses de ses actrices, scrutées pendant 3h40 dans leur débauche d’énergie, le temps d’une nuit.

Mektoub my love intermezzo

Le choix des mots au sein de ce dispositif est lourd : « on t’a chauffé cette salope toute la journée » dit Aymé à Amine, le truchement du réalisateur à l’écran. Le regard plus les mots, cela fait beaucoup à avaler sur certaines scènes. Et, bien sur, il y a l’hyper sexualisation de la soirée en question. Il peut devenir douloureux sur la longueur de ne voir sexualisé qu’un type de corps, un oubli absolu du corps des hommes. C’est la jeune Charlotte qui est montrée nue, jamais sa contre partie masculine, lui se cache, ne se montre jamais.

Une expérience inouïe

Mais ce qualificatif de film « monstrueux » a également un autre sens : Mektoub, my love : Intermezzo ne se ressemble à rien d’autre. Ses aspérités sont incroyables, ce qu’il montre crée une expérience inouïe, un pur instant sensoriel inoubliable. Au milieu de ces regards d’hommes se dessine un paradoxe : une forme de reprise de pouvoir des femmes de l’histoire. En effet, pendant plus de trois heures, l’action consiste à danser et aussi, parfois, à parler. Ces danses, souvent effectuées seules, sonnent comme une libération d’énergie. Les femmes regardées reprennent le contrôle de leur corps et sont fortes devant les hommes, elles agissent.

Intervient alors la scène de sexe du film, qui synthétise bien à la fois les problèmes du film mais aussi ses forces. Pendant quinze longues minutes, c’est Ophélie qui mène le jeu, c’est de son plaisir qu’il est question. L’homme n’est qu’un accessoire à son service, il l’avait promis, il ne doit penser qu’à elle. Dans le ballet de leurs ébats, c’est elle qui dirige, qui commande la manœuvre, et qui décide quand celle-ci s’arrête. C’est toute la beauté de la scène, crue et frontale, un aspect fondamental d’une nuit en discothèque comme il y en a beaucoup.

Le crépuscule des amours

Si le sexe est partout dans cette histoire, on discerne également quelques rares mais très beaux moments qui lui échappent. Hafsia Herzi, la tante fêtarde, qui regarde ses neveux et nièces de l’arrière de la scène, le visage fatigué et les traits tirés, avec un mélange de tendresse et d’envie, une ombre lourde pesant sur sa silhouette. On peut voir également les yeux du fameux Tony, le cousin volage et dragueur, qui maltraite les sentiments des femmes qu’il séduit, qui navigue toute la nuit entre danses langoureuses avec une jeune fille rencontrée plus tôt dans la journée, et un désespoir étonnant, fruit de ses discussions avec Ophélie, son amante secrète, qui sonne comme le crépuscule de ces amours.

Mektoub my love intermezzo
Si certains dialogues choquent, et manquent de subtilité – après tout ils sont prononcés dans un contexte particulier, l’alcool a émoussé les esprits -, ils sont dans la lignée des histoires développées dans Canto uno, et renseignent un peu plus sur les personnages, qui existent incandescents et sublimes à la fois dans leur vitalité de fin d’été.

Folie et efferverscence

Mektoub, my love : intermezzo constitue le fameux scandale Cannois, le moment d’effervescence qui fait exploser les tensions au bout de 11 jours de compétition, provoquant des réactions disproportionnées, notamment dans des projections particulièrement dissipées et particulières, faites de départs intempestifs de la salle à tous moments.

Ce film démontre, plus que ses précédents, la folie du réalisateur de L’esquive. Il est une prise de risque démesurée d’un cinéaste à part qui ose tout sans calcul. S’il est évident que les à cotés vont certainement envahir l’arène médiatique d’ici la sortie officielle du film, comme pour La vie d’Adèle il y a six ans, mais pour l’instant, et s’il n’est question que de l’œuvre, nous sommes en présence d’un objet rare. Peu de longs métrages secouent autant, déchaînent autant les passions et déstabilisent nos lectures critiques parfois trop engoncées dans leurs grilles de lecture.

Mektoub : intermezzo va beaucoup déplaire, va être rejeté, voire traîné dans la boue, et pourtant ce qu’il arrive à créer, en une multitudes de regards sur la nuit et les corps, continue à habiter les esprits, où il se fait une place de choix, inoubliable.



En compétition au festival de Cannes 2019




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