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MAUDIT !

Alix part à la recherche de son ami disparu dans les hauteurs sauvages de La Réunion, hantée par l’histoire violente et complexe de cette île, habitée par les fantômes du colonialisme et de l’esclavage.

Critique du film

Auteur de trois longs-métrages, Emmanuel Parraud a tourné ses deux derniers sur l’île de La Réunion. Après Sac la mort, Maudit ! est un récit poétique et politique, qui s’aventure dans les marges du fantastique pour traduire la féerie d’un territoire et les croyance d’une culture. En résulte un film dont il faut saluer l’audace mais qui nous a paru ployer sous trop d’effets pour véritablement convaincre.

Alix des esprits

La Réunion est à la fois un département d’outre-mer français, mais aussi un territoire chargé d’une Histoire violente et d’une puissante identité culturelle. Elle ne dispose pas, en outre, par sa nature insulaire, de frontières tangibles. Le film d’Emmanuel Parraud donne à voir la porosité d’autres confins, à savoir ceux entre les vivants et les morts. Son récit malaxe une matière ethnographique pour ensuite la passer au tamis du fantastique. Au menu : violence, jalousie, colonialisme, revenants.

Alix et Marcelin sont deux amis de longue dates. Un soir où l’alcool coule à flot, une dispute éclate entre les deux hommes. Marcelin prend la fuite alors qu’une transe s’empare d’Alix. Le lendemain, Marcelin est introuvable, Alix se réveille la main droite ensanglantée et la gendarmerie rôde. Emmanuel Parraud parvient à créer un sentiment d’étrangeté en filmant l’île comme un décor féerique, à la fois merveilleux et inquiétant. Les séquences nocturnes sont particulièrement réussies, certains plans recoupant une forme de naïveté proche de l’esthétique du conte, tel que représenté en littérature jeunesse.

Syncope et outrance

Pris dans une tempête infernale, Alix perd pied en même temps que le récit prend la forme d’une aventure mentale, un cauchemar à ciel ouvert. La mise en scène cherche alors à restituer le chaos avec de multiples ruses techniques : caméra agitée, montage syncopé, éclairages baroques ou écarlates. Le film, en son milieu, semble perdre confiance en sa capacité à faire vivre une belle singularité. La profusion d’artifices ronge progressivement le fil habile sur lequel il s’était engagé, le fragilisant d’autant. La musique enfin, agace plus qu’elle ne tourmente.

Maudit !

Mémoire à la machette

Dans sa dernière partie, Maudit ! retrouve une ardeur sans artifice. La dimension politique du film – l’esclavage et la violence, mais aussi le colonialisme – refait surface alors qu’une armée de « marrons » (du nom des esclaves réunionnais), revenu du fond des âges et de la forêt, vient au secours d’Alix. Emmanuel Parraud tient l’acte de violence hors-champs et choisit de n’en montrer le résultat qu’à travers l’hébétude d’Alix. Un choix judicieux, qui lui permet de conclure dans un calme à la fois glaçant et harmonieux.

Maudit ! est un film aussi imparfait qu’inattendu. Il tire son originalité d’une fusion entre croyances populaires et fantastique. On déplore souvent le gouffre qui existe entre la réelle diversité du cinéma français et le paradoxal conformisme des films qui atteignent le grand public. De plus, c’est un film majoritairement en langue créole, imprégné d’une magique intranquillité qui fait souvent le prix des terres insulaires. Dans la grande famille du cinéma français, il faudrait placer Emmanuel Parraud aux côtés de Mati Diop, ou encore de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard, cinéastes qui travaillent le genre tout en arpentant des territoires que le cinéma feint d’ignorer. On ne pourra que saluer que cette branche de la famille s’agrandisse.

Bande-annonce

17 novembre 2021De Emmanuel Parraud
avec Farouk Saidi, Aldo Dolphin, Marie Lanfroy




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