l’enfant rêvé

L’ENFANT RÊVÉ

Depuis l’enfance, François a consacré sa vie au bois. Celui des arbres des forêts du Jura, qu’il connait mieux que personne. Il dirige la scierie familiale avec sa femme Noémie, et tous deux rêvent d’avoir un enfant sans y parvenir. C’est alors que François rencontre Patricia, qui vient de s’installer dans la région. Commence une liaison passionnelle. Très vite, Patricia tombe enceinte. François vacille…

Critique du film

Quatrième long-métrage de Raphaël Jacoulot, L’enfant rêvé s’inscrit dans le sillon de ses films précédents, en cela qu’il s’inscrit à la fois dans le drame et dans une intensité dramatique à couper le souffle. Ce qui retient l’attention est son inscription, dans toutes ses thématiques, dans la description d’un désir de paternité toxique, jusqu’à la folie.

Tout d’abord, c’est un film qui s’inscrit dans un lieu précis, au cœur des forêts jurassiennes, autour d’une scierie, entreprise familiale depuis plusieurs générations. François est le dernier maillon de cette chaîne, il est le fils, héritier de cette entreprise qu’il a du moderniser pour qu’elle puisse survivre à la crise économique. La mise en scène épouse les contours de cette nature omniprésente, mais aussi de chaque machine rythmant le quotidien de l’entreprise. Le bois est un personnage à part entière, on peut presque le sentir tellement la caméra le scrute et l’analyse.

Ce cadre est ainsi le premier élément qui plante le socle d’un univers complexe où l’hérédité semble première : il faut transmettre. Le désir d’enfant du couple formé par François et Noémie découle de ce contexte. Il n’est pas étonnant que quand on lui demande de se projeter et de donner des raisons à sa paternité, François ne sait que répondre. Il doit être père, et enfanter biologiquement. La possibilité d’adopter est très vite vécue et montrée à l’écran comme un pis allé médiocre qui ne lui convient pas. C’est à ce moment précis qu’intervient l’arrivée dans l’histoire de Patricia. Elle est jeune mère de deux petites filles, elle représente une fertilité que ne peut incarner Noémie. La liaison extra-conjugale nouée entre François et Patricia est cristallisée autour de cette obsession de la paternité. Quand la jeune femme lui apprend sa grossesse cela semble une issue normale et simple pour lui, alors que pourtant rien ne l’est.

l'enfant rêvé
La santé de la scierie est balbutiante, dettes, manque de rentabilité, tout ne tient plus qu’à la décision de Noémie de vendre des terrains familiaux et devenir par la même occasion majoritaire dans les parts de l’entreprise. C’est une nouvelle étape dans l’insupportable pour un homme qui ne peut se concevoir que comme le pater familias, celui qui commande son couple et son affaire, avant de transmettre à son fils à venir. Les deux vies parallèles du jeune chef d’entreprise se resserrent autour de lui comme un étau invisible qui l’étouffe et le rendent de plus en plus irritable. Là encore la mise en scène retranscrit avec beaucoup de qualité la montée de la tension chez le personnage principal, basculant peu à peu dans la folie. Dans le dernier tiers du film on bascule complètement dans le drame, toute raison ayant quitté l’esprit d’un homme qui a fondu tout droit dans son obsession une fois son fils né.

Le réalisateur de Coup de chaud mène son projet avec brio et surprend même par la réussite qu’il arrive à atteindre dans ce portrait d’homme rongé par les injonctions familiales et paternalistes. Si François est un personnage lâche et abject qui manipule les femmes autour de lui, il est aussi le produit d’un système qui valorise à l’excès le masculin et la nécessité de la transmission comme seule valeur. Les exemples et les détails en ce sens sont très nombreux dans L’enfant rêvé.

On peut noter l’hostilité avec laquelle François accueille son jeune neveu, le fils de sa sœur, traité par le grand-père comme un successeur potentiel qui court-circuitrait le droit à la succession qui lui revient de droit. La famille ici, loin d’être un moyen de subsistance, devient un enfer qui emprisonne les vies et les rêves, condamnant chaque génération à remplir un rôle vide de sens et de liberté. Jalil Lespert joue à merveille ce personnage gangréné par ses obligations, enfant maudit d’une logique toxique qui l’empoisonne jusqu’à la folie et la destruction.

Bande-annonce

7 octobre 2020 – De Raphaël Jacoulot, avec Jalil Lespert, Louise Bourgoin et Mélanie Doutey.




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