L’esprit sacré

L’ESPRIT SACRÉ

Julio est mort. C’est une terrible nouvelle pour « Ovni-Levante », l’association de passionnés d’ufologie qu’il présidait. José Manuel, un de ses membres, est particulièrement touché par le décès : Julio et lui avaient un projet secret qui devait changer le destin de l’humanité. Il devra maintenant le mener à bien en solitaire.

Critique du film

Ceci n’est pas un film, c’est un trompe-l’oeil. Flirtant avec la parodie, la chronique sociale et le drame, Chema Garcia Ibarra joue avec l’illusion de la réalité et le spectateur qu’il maintient dans un état incertain avant de le sidérer. Entrez dans l’univers cosmi-comique de L’Esprit sacré, et laissez-vous porter par les signes.

Il faudrait trouver un nom pour désigner ce sentiment d’intense promesse que procurent les premières images d’un film. Ici c’est d’abord le décor qui annonce le ton décalé du film. La plus extrême banalité recouverte d’un vernis d’aventure, c’est ainsi que l’on pourrait décrire l’appartement où vivent Manuel et sa mère. Une décoration vouée à l’égyptologie, version kitsch et toc. La maman est une voyante que la maladie d’Alzheimer a définitivement perdu en passé confus et avenir brumeux. Manuel, petite quarantaine pataude, partage sa vie entre son job de barman, sa passion pour l’ufologie et ses nièces jumelles qu’il choye. Le second élément qui colore le quotidien d’étrangeté, ce sont les sons des télévisions constamment allumées. D’un côté, les chaînes d’informations locales ne parlent que de la disparition de Vanessa, une des deux jumelles, d’un autre côté, chez lui ou dans son bar, Manuel se branche sur des canaux dévolus au surnaturel, au spirituel, au sens caché dont les programmes répandent en boucle recettes de vie et présomption de présence extraterrestre. Dans le regard de Manuel, imperturbable, deux mondes apparemment parallèles, se juxtaposent.

L'esprit sacré

Manuel retrouve quelques comparses, le soir après la fermeture de son bar, dans l’agence immobilière de Julio. Là, ils partagent, plusieurs fois par semaine, leur passion de l’ufologie. Garcia Ibarra injecte du réel dans la fiction. L’effet documentaire apporté par les acteurs non professionnels, la trivialité du décor, rend l’atmosphère de ces scènes particulièrement savoureuse et énigmatique. Savoureuse parce que énigmatique. La situation est objectivement drôle, presque ridicule et pourtant un sentiment plus profond, entre la gêne et la l’inquiétude, empêche de rire franchement. Cette écriture du malaise, très fine, isole peu à peu Manuel dans une trajectoire dont les contours tragiques prennent forme tout en gardant ouverte le question de la sincérité du personnage. La mort de Julio précipite les événements. Sans céder à la panique Manuel accélère un processus pour lequel il semble en mission : faire passer Veronica, la sœur de Vanessa, « de l’autre côté ». La présence des jumelles, le jeu des illusions et les limites de l’innocence rappellent L’Esprit de la ruche de Victor Erice, chef-d’oeuvre du cinéma espagnol.

Le film brouille, progressivement, toute notion de normalité, donnant à la farce des allures de tragédie, à la parodie des accents d’angoisse. On ne peut en dire davantage sous peine de gâcher la conclusion qui, sans recourir à aucun twist, conduit à reconsidérer les choses vues. Comme le détail du trompe-l’oeil, qui, d’un coup, offre une autre réalité à l’ensemble de la composition. C’est à la fois dans la plus grande banalité et dans le plus extravagant délire qu’on détourne le mieux l’attention.

Bande-annonce

6 juillet 2022 – De Chema Garcia Ibarra
avec Nacho Fernández, Llum Arques, Rocío Ibáñez, Joanna Valverde




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