Kajillionaire

KAJILLIONAIRE

Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fille unique, Old Dolio, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d’un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue ingénue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d’Old Dolio.

Critique du film

Kajillionaire est seulement le troisième film en quinze ans de la réalisatrice étasunienne Miranda July. Récompensée en 2005 de la Caméra d’or au festival de Cannes pour son premier film, Moi, toi, et tous les autres, elle a réussi à imposer un style unique et décalé qui brille dans cette nouvelle histoire atypique. La première partie du film est un lent apprentissage des codes régissant une drôle de famille, jouée par Richard Jenkins, Debra Winger et leur fille Evan Rachel Wood. Chaque instant de leur vie est rythmé par le gain de sommes d’argent glanées au grès de petites arnaques plus minables les unes que les autres, et l’élimination de la mousse qui suinte des murs de leur « appartement », un ensemble de bureaux contiguë à une usine de savons.

Kajillionaire
Si Old Dolio, nom hérité à la naissance d’une arnaque à l’héritage, est la fille de Theresa et Robert, elle est aussi leur éclaireur, une sentinelle qui les aide dans leurs entreprises délictueuses plus romanesques les unes que les autres. Le premier arc narratif est centré sur la précarité de leur situation : des dettes à régler pour ne pas perdre leur logis, et une vie qui semble de plus en plus vouée à l’échec. C’est à ce moment précis qu’un membre nouveau dans ce groupe vient dérégler tout l’ensemble et amène une prise de conscience chez Old Dolio. Aussi étrange soit-elle, Miranda July utilise cette arrivée comme le moment où son personnage se pose pour la première fois des questions qui lui feront passer le cap de l’âge adulte.

Si jusqu’ici elle n’était qu’une extrapolation du couple initial, Old Dolio devient consciente de l’étrangeté de sa famille et du besoin d’émancipation nécessaire à son évolution personnelle. Mélanie, rencontrée dans un avion pendant un nouveau coup fumeux, lui prend la main dans tous les sens du terme. Elle devient une sorte de passeur, qui l’accueille chez elle et devient son révélateur. L’épiphanie prend la forme d’une quête initiatique de tout ce qui a pu manqué dans la vie de la jeune. Une liste à suivre pour arriver au terme d’un voyage qui aboutira vers la liberté. Une plongée dans l’obscurité de toilettes d’une station service, pendant un tremblement de terre particulièrement violent, prend la forme d’un point de non retour pour chacun.

Kajillionaire
Les parents continuent leur chemin, initié depuis trop longtemps pour être arrêté ou dévié, et leur fille constate que désormais elle doit marcher seule. Cette allégorie du passage à l’âge adulte, de l’envol loin du cocon familial, aussi spécial soit-il, est particulièrement captivant dans Kajillionaire. La dissidence est partout avec Miranda July, même si exprimée avec douceur et timidité. Old Dolio a 26 ans, et pourtant il est impossible de lui donner un âge, ni même de la genrer avec exactitude tellement elle semble à coté de toutes ces considérations trop normatives. La relation qu’elle noue avec Mélanie est donc elle aussi en dehors des sentiers battues, avec un champ des possibles qui ne cesse de surprendre et de s’étendre avec l’avancée du récit. Les quatre acteurs sont magistraux et participent à créer un sentiment d’altérité qui infuse chaque scène.

Tout le talent de Miranda July s’exprime dans la dernière demi-heure du film. Là où beaucoup d’auteurs se serait perdus sur les bases d’un concept initial un peu court et usé, elle arrive à renouveler son histoire et à embarquer ses personnages dans des directions certes fantasques, mais toujours pertinentes et passionnantes. Elle arrive à tenir sa ligne directrice et l’intérêt du spectateur jusqu’à un final inattendu, réjouissant, et à sa manière plein d’espoir et de joie, là où on en attendait pas autant.

Kajillionaire déroute de bout en bout, ne cesse jouer avec nos attentes et ce que l’on croit comprendre de l’intrigue, et à sa manière douce développe une radicalité extrêmement forte. Des concepts aussi premiers que la famille, le couple ou la société de consommation, sont tous passés au crible d’une histoire qui ne fait aucune concession, bâtissant les fondations d’un nouveau monde réjouissant.

Bande-annonce

30 septembre 2020 – De Miranda July, avec Richard Jenkins, Debra Winger et Evan Rachel Wood.




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