I COMETE
Les grandes vacances en Corse. Ceux qui vivent à la ville retrouvent ceux qui n’ont jamais quitté le village. Les enfants s’égayent, les ados traînent, les adultes réfléchissent à l’avenir, les aînés commentent le temps qui passe. Familles et amis de toujours partagent ce moment suspendu dans la montagne. Mais malgré les rayons de soleil et les éclats de rire, l’été ne guérit pas toutes les blessures.
Critique du film
Acteur notamment chez Lucie Borleteau pour Fidelio, l’Odyssée d’Alice, Pascal Tagnati signe un premier long-métrage de fiction qui sent le retour aux sources et la volonté de parler de sa terre natale. I comete pourrait se dérouler à peu près n’importe où en Corse, le nom du village n’est jamais véritablement cité. Le regard du spectateur investit alors un postulat, celui du retour au pays le temps de l’été, une migration temporaire où chaque génération retrouve sa place, ses amis, mais aussi ses problèmes, bien spécifiques à ce territoire.
Une des premières couleurs qu’on distingue dans le film est la langue : si le français n’est pas absent, il est presque supplanté en majorité par la langue corse. Sa musique si particulière sonne comme une première revendication : cet idiome est vivant et participe à l’identité des différents personnages. C’est un blason affiché, et qui n’est pas un détail, c’est aussi par la langue que se signale le récit et là où débute les enjeux dramatiques.
Les premiers instants ont des accents presque d’un film de Jacques Tati, Jour de fête n’est pas loin, et le personnage qui s’adresse aux jeunes du village pourrait allégrement faire partie de cette famille de la comédie française. Mais, passée cette introduction, c’est une toute autre tonalité qui s’installe, plus proche du drame, tapie dans les nombreux visages sur lesquels le réalisateur pose son regard. C’est une des caractéristiques majeures de I comete, Tagnati désire présenter un grand nombre de personnages.
Mémoire familiale
La longueur du film, plus de deux heures, lui permet de tous les faire exister, les remettant sur le devant de la scène à intervalles réguliers, telles des pièces d’échecs servant un dessein à plus grande échelle. Malgré cet aspect très choral, on retrouve un grand et très beau personnage principal, « Franje », joué par Jean-Christophe Folly, seul homme noir de cette population, mais pas moins corse notamment dans sa maitrise de la langue.
Franje se retrouve au centre de plusieurs intrigues, il passe dans plusieurs scènes, et impose petit à petit la force de ses mots. Il est celui qui s’occupe de sa grand-mère, mémoire familiale déclinante, mais aussi celui qu’on vient voir pour nouer des affaires douteuses sous-entendant de forts enjeux financiers loin de l’île. On comprend qu’il est un notable, héritier local d’une famille reconnue, le récit intime de ses origines n’intervenant que plus tard dans le récit. On le découvre également philosophe et plein d’amertume sur la condition de son village, ainsi que sur le regard porté par de nombreux autres de ses compatriotes. Il est notre fenêtre pour comprendre ce petit monde, en étant un ambassadeur charismatique, très conscient du regard des autres, le regard lourd de sens en permanence.
Si leur mise en scène est très différente, on ne peut s’empêcher de penser au Kéchiche de Mektoub my love, canto uno, voire même à La Graine et le mulet du même réalisateur, qui fut lui aussi acteur avant de passer à la réalisation. On retrouve ici la même volonté de prendre le temps de raconter un été, et de filmer des échanges longs dans ce qu’ils ont de plus communs en apparence, mais aussi de plus intense et révélateur d’humanité. De la même façon, le film prend tout son sens plus il défile, et il finit par gagner une adhésion qui semblait bien improbable dans ses premières minutes. Le moindre personnage devient attachant, trouvant naturellement sa place dans la mosaïque assemblée morceau par morceau par Pascal Tagnati. Le rôle qu’il se donne, celui d’un jeune homme qui raconte, notamment, les moqueries subies sur l’accent corse dans sa belle-famille, est à ce titre particulièrement savoureux.
Si son film demeure maladroit et inabouti par séquences, on ne peut que reconnaître sa réussite sur l’ensemble du projet, tellement on prend du plaisir à repenser ces scènes, emprisonnées dans le temps long de l’été. L’auteur raconte sa Corse sans complaisance et dans toute sa complexité, prenant soin de présenter les contradictions des personnalités de ses habitants, présentant les excès comme l’importance de continuer à valoriser certaines valeurs qui leur sont propres.
Avoir choisi un personnage noir pour porter haut l’identité corse est à ce titre éloquent, bien loin du racisme supposé prégnant dans ces contrées septentrionales, au delà du continent. I comete est pourtant le premier film considéré comme français en compétition Tigre à Rotterdam depuis plus de dix ans. Il convient d’apprécier ce drôle de paradoxe, à la hauteur de l’espoir de voir émerger un nouveau talent.
Bande-annonce
20 avril 2022 – De Pascal Tagnati, avec Jean-Christophe Folly, Cédric Appietto et Jérémy Alberti.
Présenté au festival IFFR et à l’ACID à Cannes 2021