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DARK CRYSTAL : LE TEMPS DE LA RÉSISTANCE | La série Netflix

Un équilibre retrouvé ?

Pour conclure ce voyage, revenons à la série, qui a elle aussi, en un sens, rétabli l’équilibre dans la galaxie du cinéma spectaculaire, en rendant un fabuleux hommage à ses artisans. 

En effet, ce sont bien les marionnettes qui donnent la mesure à tous les choix artistiques d’Age of Resistance. Soixante-cinq décors ont été créés, et deux plateaux surélevés ont été utilisés, afin que les marionnettistes, le bras levé, puissent faire évoluer les créatures à la hauteur de leur environnement. Tous les personnages ont leur marionnette, même s’ils apparaissent à l’écran en CGI. C’est notamment le cas de Lueur, le magnifique golem de pierre guidant Rian, Deet et Hup vers ses créateurs « hérétiques », permettant ainsi aux autres marionnettistes d’interagir plus spontanément avec lui. Le numérique n’est là que pour sublimer la matière des marionnettes, qui faisait le charme du film de 1982. D’ailleurs, certains membres de l’équipe originelle de marionnettistes sont revenus pour la série, comme Louise Gold, qui reprend le rôle de skekAyuk, le skeksis gourmand. Elle retrouve donc son personnage après trente-sept années de séparation, avec cette fois-ci une liberté de mouvements décuplée par les avancées technologiques et mécaniques. Alors qu’il fallait près de dix personnes pour manipuler un skeksis sur Dark Crystal, il n’en faut désormais plus que trois sur Age of Resistance : deux personnes manipulant la marionnette sur le plateau, et une hors-plateau contrôlant les yeux et les expressions faciales à l’aide d’une télécommande reliée au servomoteur de la créature. Enfin, chaque marionnettiste est équipé(e) d’un moniteur au sol, ce qui leur permet de voir exactement comment se placer par rapport aux caméras. Autrement dit, ils sont partiellement les metteurs et metteuses en scène de la série.

La plupart des séquences ont été tournées avec deux caméras : une placée sur un rail de travelling, et une autre en dispositif steadicam, le plus souvent manipulée par le réalisateur Louis Leterrier lui-même, auteur d’un travail titanesque (réalisation et montage des dix épisodes). C’est LA grande idée de la série : profitant de l’espace laissé autour des marionnettes (seulement deux marionnettistes sur le plateau), la caméra de Leterrier bouge beaucoup, pivote autour de ses personnages, compensant ainsi leur possible statisme par un mouvement constant. C’est cette mobilité qui permet à la série de nous immerger dans l’univers qu’elle retranscrit, nous montrant de la vie partout (de l’infiniment grand, grâce à un usage intelligent du numérique, à l’infiniment petit). Notre oeil se balade dans Thra, comme celui de la clairvoyante Aughra à dos de mini Arathim.

Louis Leterrier faisant la bise au général

Age of Resistance, c’est donc aussi ce plaisir du mouvement, de la caméra comme ceux des personnages. Soulignons par exemple la beauté des plans où apparaît le chasseur skekMal, dont la hargne le met dans un mouvement constant, atteignant même la souplesse d’un primate grâce au numérique. Cette « mobilité » est également prise en compte par les scénaristes de la série (Jeffrey Adiss, Will Matthews et Javier Grillo-Marxuach), qui ont modifié la narration en fonction des contraintes posées par les marionnettes, mais également en fonction des nouvelles libertés acquises grâce aux avancées technologiques.

Le chasseur skekMal

Age of Resistance est une ode aux marionnettes, dont le point culminant est l’épisode 7, savamment intitulé : « Time to Make… My Move ». Mise en abîme de l’artisanat dont il est issu, cet épisode nous fait découvrir un mélancolique duo, formé par skekGra l’hérétique, et urGoh le vagabond. Tous deux ont pour tâche de raconter l’histoire qui permettra aux Gelflings de résister face aux skeksis. Quoi de mieux, pour cela, que d’invoquer ce que skekGra appelle « l’art sacré le plus ancien » : les marionnettes. Symbole aussi beau que paradoxal, cette séquence a investi le talent d’un très jeune marionnettiste, Barnaby Dixon, inventeur génial de petites créatures qu’il manipule avec ses seuls doigts (sa chaîne youtube est consultable ici). Héritière d’un art ancien, Age of Resistance lui rend le plus beau des hommages en donnant le pouvoir aux marionnettes elles-mêmes, au travers d’un jeune marionnettiste qui est en train de révolutionner son art.

Le « puppet show » de Barnaby Dixon

Cette modernité de la technique se retrouve également dans les nouvelles pistes narratives proposées par la série. En premier lieu, l’organisation politique des Gelflings, répartis en sept clans matriarcaux dirigés par sept Maudras. Il y a le clan Grottan (dont fait partie Deet), vivant dans les profondeurs de la terre en harmonie avec Thra, le clan Stonewood (dont fait parti Rian), composé de guerrières et de guerriers, le clan Vapra (dont fait partie Brea), qui sont les gelflings les plus instruits, le clan Drenchen, le clan Sifa, le clan Dousan et enfin le clan Spriton. Même si les Gelflings sont clairement attachés à la hiérarchie (nous y reviendrons), ils sont ici représentés dans toute leur diversité (soulignons cette jolie idée d’avoir donné deux pères à la douce Deet), leurs contradictions, leur violence aussi.

 

Deet (en haut à gauche), Rian (en haut à droite) et Brea (en bas)

 

Car Age of Resistance, comme Dark Crystal, reste une oeuvre nous présentant un monde en proie à un déséquilibre fondamental. La voix de Sigourney Weaver nous l’explique très bien dès le début du premier épisode : « Pendant des milliers d’années, Thra vivait en harmonie. Mais de nouvelles créatures arrivèrent, étrangère à Thra : les skèksès. Ils racontèrent à Aughra des légendes captivantes sur l’univers, et lui bâtirent un planétarium, pour qu’elle découvre d’elle-même les mystères du cosmos. Aughra leva alors les yeux vers les étoiles, et confia le Cristal de Vérité aux Skèksès. Il y a près d’un millier de trines, les Skèksès se proclamèrent les Seigneurs de Thra. Encore une fois, les Skèksès se réunissent en secret à l’aube d’un nouveau jour, pour puiser la vie du Cristal qu’ils ont juré de protéger, afin qu’ils puissent se régénérer. Défier la mort, en capturant l’énergie de leur trésor. Leur récompense. Leur prisonnier. Le Dark Crystal ».

À défaut d’être harmonieux, Thra est désormais un monde ordonné et hiérarchisé. Les skeksis, « seigneurs du Cristal », imposent leur lois aux sept clans de gelflings, qui en retour font preuve d’une obéissance aveugle. D’ailleurs, les gelflings eux-mêmes relaient cette violence, en hiérarchisant les clans entre eux (pensons au racisme des gelflings Stonewood lorsque Deet arrive à Stonewood in the Dark Wood, à la suffisance inconsciente des princesses Vapra à l’égard des autres clans, ou enfin au pragmatisme politique monstrueux de Seladon). Or la clé de l’équilibre réside pourtant dans l’unité collective. C’est ce que découvre Brea dans la grotte située en-dessous du trône de sa mère : « nous ne faisons qu’un ». Tous les clans gelflings sont égaux, comme toutes les créatures de Thra d’ailleurs. L’unité est synonyme de vérité, là où l’ordre rime avec violence, reflet d’une peur viscérale de la mort de la part des skeksis.

En ce sens, les « seigneur du Cristal » sont les créatures les plus humaines de la série, car contrairement aux gelflings, ils ne font pas partie de Thra, si bien que la mort est pour eux un chemin de non-retour. Leur obsession pour le Pouvoir est motivée par un instinct de survie exacerbé, ainsi que par l’angoisse de leur propre incomplétude. Il y a d’ailleurs une scène très touchante où l’empereur explique au général que ses cauchemars sont hantés par le souvenir de leur être originel (le « Soi » jungien) : les Urskeks. Une mélancolie refoulée derrière la luxure et l’égoïsme, qui pourtant anime chacun des skeksis et des urRur. Ceux qui ont la sagesse de comprendre que l’unité est inévitable (SkekGra, l’hérétique) sont bannis.

Les gelflings, comme les Arathims d’ailleurs, sont les victimes de cette incomplétude existentielle qui hante les skeksis. Face à elle, ils se doivent d’entrer en communion, de dépasser les simples intérêts matériels de leurs seigneurs afin d’accéder ensemble au monde des rêves, dont Aughra a retrouvé la chanson dans l’épisode 5. Le sommet de cette ode à l’unité collective, c’est le montage à alternances multiples à la fin du même épisode, où des gelflings de tous les clans se touchent les mains, rêvaillant ensemble dans une grande communion mystique dont la danse et le chant d’Aughra donnent la mesure.

Bien que crépusculaire, Age of Resistance rayonne pourtant au travers de sa célébration de l’accomplissement collectif. Moins tributaire de l’héroïsme individualiste que le film, la série offre ainsi une nouvelle issue à la question qui hante l’univers de Dark Crystal : comment atteindre la plénitude et l’Equilibre de l’Être ? Sa réponse est aussi simple qu’admirable  : en acceptant l’Equilibre égalitaire des Êtres.


Disponible sur Netflix depuis fin août


Lire aussi : les première et deuxième parties de notre dossier consacré à Dark Crystal.




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