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MICHAEL DUDOK DE WIT | Entretien

La tortue rouge, c’est incontestablement l’un de nos coups de coeur de l’année. Quelques jours après la sortie de son film d’animation en vidéo et à l’occasion du Carrefour du cinéma d’animation au Forum des images (dont il est le parrain cette année), nous avons rencontrer le réalisateur Michael Dudok De Wit dans un salon privé du Forum. Assis en tailleur, déchaussé et peu avare en anecdotes, cet homme simple et généreux, d’une douceur apaisante, est revenu pour Le Bleu du Miroir sur l’aventure de ce premier long-métrage d’exception qui devrait prochainement concourir aux Oscars face aux mastodontes américains.  

Vous êtes le premier réalisateur étranger dont le film est co-produit par les studios Ghibli. Comment s’est déroulée votre collaboration et quelle aide vous a apporté Isao Takahata dans l’élaboration du film ? 

Michael Dudok de Wit : Cette initiative vient de leur studio. Je n’aurais jamais osé les solliciter. Tout d’abord parce que cela ne se fait pas. Ils m’ont contacté en me proposant d’écrire et réaliser un long-métrage après être tombé amoureux de mon court-métrage Father and daughter. Ils souhaitaient un film européen, protégé par la loi française – la loi japonaise s’avérant bien trop complexe. Ils souhaitaient produire et investir, en partenariat avec Wild bunch. 

C’était un pari, ils n’étaient pas certains que cela fonctionne. C’était une première de collaborer avec un réalisateur européen. J’ai sollicité leurs conseils à de nombreuses reprises, j’avais besoin de leur feedback, d’apprendre de leur travail. Notamment de celui d’Isao Takahata. J’avais également envie d’absorber cette sensibilité japonaise sans la singer, en gardant mon identité européenne. Rapidement, ils ont compris que je souhaitais que l’on se réunisse régulièrement – ce qui fut le cas pendant les cinq années du processus d’écriture et de réalisation du storyboard.

Ils étaient très prudents quand ils me donnaient leur avis. Le réalisateur doit avoir la main sur la décision finale. Ils proposaient des solutions mais me laissaient trancher. Ils n’étaient pas dans le contrôle. À partir de juillet 2013, ils ont pris du recul pour nous laisser concrétiser le projet, sans interférer. 

On retrouve dans La tortue rouge la structure narrative de vos courts-métrages, articulés autour du cycle incessant de la vie. À quelle grande difficulté vous êtes vous trouvé confronté en passant du court au long-métrage  ?

M. D. D. W. : Les courts-métrages, je les avais réalisés seul. Du storyboard au montage. J’étais assez confiant car cela fonctionnait bien. Je voyais le long-métrage comme un défi. Au final, ce fut bien plus complexe. Je ne pouvais me reposer sur la composition musicale, comme auparavant.

J’ai également réalisé que ma maîtrise du montage manquait de maturité et d’expérience. Ma monteuse m’a beaucoup apporté, énormément guidé. Pascale Ferran, ma co-scénariste, était très curieuse du montage qu’elle a scruté très assidument, en donnant de nombreuses suggestions. 

J’aimerais que La tortue rouge réveille en chaque spectateur son amour de la vie et de la nature.

Comment s’est élaborée l’écriture du scénario ? Etait-ce votre volonté initiale de proposer une fable universelle ? 

M. D. D. W. : Oui. À la fin de mes études, j’ai fait des courts-métrages humoristiques. C’était très plaisant mais j’avais besoin de quelque chose de plus. Avec de l’humour mais aussi quelque chose de plus profond. Surtout après avoir vu L’homme qui plantait des arbres, de Frédéric Back, adapté d’un matériau de Jean Giono. C’est l’un des plus beaux films jamais réalisés. Cela m’a bouleversé. J’ai également été marqué par La traversée de l’Atlantique à la rame de Jean-François Laguionie. À partir de là, j’ai su que c’était ce genre d’histoires que je souhaitais raconter.

Avec La tortue rouge, je ne voulais pas me contenter d’un bon divertissement. Je souhaitais explorer quelque chose d’intemporel, de plus fort. Ce n’est pas un film avec un message, je n’aime pas beaucoup cette idée. J’aimerais que La tortue rouge réveille chez le spectateur qui le voit son amour de la nature. Pas la nature avec les jolies plantes et les jolis animaux ; mais le cycle de la vie, la beauté de la vie et de la mort, de la lumière et de l’ombre. Le profond de la nature et de la vie qui réside en chacun de nous.

On sent dans votre cinéma une volonté de simplicité, de confiance absolue en l’intelligence du spectateur – ce qui devient de plus en plus rare. Est-ce pour tendre vers une certaine universalité que vous avez décidé de supprimer les dialogues alors qu’ils existaient dans la première version du scénario ? 

M. D. D. W. : Le spectateur doit travailler un peu en regardant mon film. Et certains n’aiment pas ça, malheureusement. C’est très fin comme approche. Un nombre de choses est explicite dans le film. Mais j’ai voulu garder l’espace pour que celui-ci l’explore à sa façon, qu’il interprète comme il le désire.

C’était inquiétant pour moi sur le long-métrage. Avec mes courts, je n’étais pas inquiet quant au fait que le public perde patience. Avec le long, il faut s’assurer que le spectateur ne décroche pas. C’était un sacré défi. Nous en avons énormément discuté avec Pascale Ferran, j’avais besoin de feedback et elle était très consciente du langage cinématographique. Je tenais à ce que le film conserve cette liberté d’interprétation. 

Votre film est clairement exigeant pour un spectateur du 21e siècle, pas toujours prompt à bousculer ses repères. Quel est votre rapport au son et au silence ? Avec notamment un mixage sonore essentiel.   

M. D. D. W. : L’absence de dialogue ne s’est pas imposée immédiatement. Le dialogue c’est naturel, cela donne du sens et créé de l’interaction. Mais cela ne collait pas bien. Initialement, le naufragé commençait à parler lorsqu’il voyait la femme. Il devait dire quelque chose de simple. Mais ce n’était pas naturel. Nous n’avions pas le bon sentiment dans cette arrivée soudaine du dialogue. Nous avons donc chercher une façon intelligente de simplifier en restant évocateur. Assumer cette simplicité de ne jamais entendre de parole. 

Est-ce pour cette raison que vous avez tant tardé à trouver la musique qui se poserait parfaitement sur votre histoire ? 

M. D. D. W. : Les effets sonores devaient être très expressifs, avec notamment le ressac sur la plage ou le vent dans les arbres des bambous. La musique m’a toujours inspiré pour le timing dans mes courts, c’était l’énergie derrière ma créativité. Ici, c’est l’inverse. J’étais frustré. Je me disais que cela allait venir mais ça ne venait jamais. Finalement, alors que je commençais à m’inquiéter, mon producteur a sollicité une douzaine de candidats de faire des propositions et c’est à ce moment-là que Laurent Perez Del mar est arrivé.

Sa mélodie est magnifique. C’est fou. Il n’y avait pas de doute quant à ça. Il me restait à savoir si l’alchimie se produirait entre nous. Il y a une part d’intuitif dans la collaboration avec le compositeur. Heureusement, lors de notre première rencontre, ce fut immédiat. 

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Lire aussi : notre critique de La tortue rouge

La tortue est un animal à fort potentiel symbolique – pour sa longévité, son attachement terrestre, son caractère presque sacré – mais nous avons cru comprendre que vous aviez pensé à d’autres animaux, tels que la pieuvre ou le dodo ?

M. D. D. W. : En effet, l’idée de la tortue ne m’est pas venue immédiatement. Je pensais à une créature intéressante : le dodo. Ce sont comme des gros pigeons, ils sont drôles et touchants. J’avais une histoire. Il mangeait ses oeufs et collectionnait les plumes pour se faire des ailes. Cela me rappelait la mythologie d’Icare, qui m’a toujours fasciné. Même si j’ai lu récemment qu’Icare n’était pas un personnage très sympathique…. (En riant) Amusant ce consensus autour de ce moment du Dédale dans la mythologie, quand on redécouvre ce qu’il a fait auparavant… 

Je pensais avoir quelque chose d’intéressant. Mais ce n’était pas mûr. Et je désirais à tout prix raconter l’histoire d’une rencontre avec une femme, une histoire d’amour, avec tout ce que cela implique par la suite – comme on le voit dans le film. Je ne trouvais pas comment faire arriver cette femme sur l’île, dans la vie de l’homme. J’avais des idées curieuses ou excitantes. Puis, j’ai réfléchi à ce qui pouvait retenir l’homme sur l’île et l’idée de la tortue est arrivée, en pensant à toutes les créatures grandes et mystérieuses de l’océan.

Pour en avoir discuté avec plusieurs amis réalisateurs, certaines idées arrivent intuitivement et si elles demeurent 24h plus tard, c’est plutôt bon signe. Arrivent alors les questions rationnelles, de faisabilité, de cohérence. Animer une pieuvre aurait été magnifique mais c’est un cauchemar. La tortue est un animal qui me touche, même si c’est un reptile au regard féroce, avec une carapace et un bec dur. Ce n’est pas un être attirant naturellement mais il me fascinait, me touchait. J’aime le fait qu’elle quitte son élément (l’eau) pour aller sur la plage, creuser un trou et mettre au monde ses enfants.

Avant de repartir vers l’infini, vers l’océan. Lors de la préparation du film, j’ai pu assister à l’accouchement d’une tortue et cela m’a beaucoup ému. J’étais inquiet pour la tortue, j’avais l’impression qu’elle souffrait atrocement. Je voulais l’aider. Mais les autochtones m’ont rassuré car je la croyais en mauvaise posture.

C’était très émouvant. Cet animal qui souffre avant de retrouver son élément. Il y a quelque chose de féérique dans sa façon d’y retourner, en glissant. C’est beau et immédiatement métaphorique.  

J’aimerais raconter une nouvelle histoire « incroyablement belle ». Pas simplement une « belle histoire ».

La tortue rouge aura marqué tout un pan de votre vie. Est-ce que de nouvelles idées commencent à jaillir ?

M. D. D. W. : J’ai quelques idées de courts mais elles doivent mûrir. La promotion du film a commencé avant même la fin de sa production et je dois avouer que je manque de repos, quelques semaines seul dans la nature afin de décrocher de cette agitation…

Peut-être si vous trouvez une île déserte… (rires)

M. D. D. W. : Oui, ce serait parfait, avec un radeau. (Il rit)

Je ne veux pas faire un film avec une « belle histoire ». Je voudrais refaire un film avec une histoire « incroyablement belle ». La tortue fut une aventure extraordinaire, malgré les périodes de fatigue ou de doute. Mais je n’ai jamais perdu la foi car je savais que je vivais quelque chose de fabuleux. J’ai besoin de ressentir la passion pour une histoire.

J’ai déjà quelques offres et d’autres totalement absurdes. Je sais que certains projets pourraient être bons pour ma carrière mais cela ne m’intéresse pas. 

Vous n’avez pas envie de faire de choix stratégiques… 

M. D. D. W. : Voilà, exactement.  

Pour terminer, parlons du Carrefour du cinéma d’animation dont vous êtes le parrain cette année… 

M. D. D. W. : C’est un rôle fabuleux. J’aurais aimé participer davantage. J’ai beaucoup aimé passer du temps avec les étudiants.

On nous a pourtant dit que vous avez été formidablement impliqué, très présent…

M. D. D. W. : Ah oui ? J’aurais aimé faire davantage. Je suis même arrivé sur Paris plus tard que prévu. Je regrette de n’avoir pu rencontrer plus d’étudiants. Et puis c’est un formidable honneur. Quand on voit les noms des parrains qui m’ont précédé. J’ai eu le plaisir de pouvoir faire une « carte blanche ». J’ai également pu participer à une belle rencontre avec Sebastien Laudenbach qui vient d’ailleurs de réaliser son premier long-métrage, comme moi. 

Ce n’est pas le seul point commun. La jeune fille sans mains a plusieurs similarités avec votre film La tortue rouge, comme une sorte de gémellité… 

M. D. D. W. : Oui, c’est vrai. C’est un superbe film et je crois qu’il y a effectivement des similarités. Mais lui, il est fou, il a tout fait tout seul. J’ai beaucoup de respect pour ce qu’il a fait. C’est une histoire incroyable, racontée avec beaucoup de finesse et des images abstraites. Nous partageons cet intérêt pour la force évocatrice du vide, qui est quelque chose de plus répandu en Orient. 

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Entretien réalisé par Céline Bourdin et Thomas Périllon, le 10 décembre 2016 à Paris. Edition : Thomas Périllon

Remerciements : Michael Dudok de Wit, Diana-Odile Lestage et le Forum des images.
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