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AFTERSUN

À la fin des années 1990, Sophie, onze ans, et son père Calum passent leurs vacances dans un club de la côte turque. Ils se baignent, jouent au billard et pro­fitent de la com­pa­gnie com­plice de cha­cun. Calum devient la meilleure ver­sion de lui-même lorsqu’il est avec Sophie. Sophie, quant à elle, pense que tout est pos­sible auprès de lui.  Lorsque la jeune fille est seule, elle se fait de nou­veaux amis et vit de nou­velles expé­riences. Tout en savou­rant chaque moment pas­sé ensemble, une part de mélan­co­lie et de mys­tère imprègne par­fois le com­por­te­ment de Calum. Vingt ans plus tard, les sou­ve­nirs de Sophie prennent une nou­velle signi­fi­ca­tion alors qu’elle tente de récon­ci­lier le père qu’elle a connu avec l’homme qu’elle ignorait.

Critique du film

Présenté à la Semaine de la Critique en mai dernier à Cannes, Aftersun faisait partie des attentes de cette compétition du festival de Deauville. Ce premier long-métrage de Charlotte Wells, qu’elle confesse en bonne partie auto-biographique, suit le temps d’un été les vacances d’un père (séparé) et de sa fille de onze ans, Sophie.

Situé dans les années 1990, l’intrigue, d’apparence simple, exerce pourtant sa force d’attraction avec une certaine précision. Le jeune père écossais incarné par Paul Mescal (inoubliable Connell dans Normal people) emmène sa fille Sophie (épatante Frankie Corio) en vacances d’été dans une station balnéaire turque avant qu’elle ne retrouve le chemin de l’école dans son pays natal. Intégrant çà et là quelques séquences prises avec le caméscope familial, le film capture le temps qu’ils passent ensemble dans l’hôtel, en bord de bassin ou autour d’un repas. Ce séjour all inclusive leur offre l’occasion de se forger des souvenirs communs. Ils en profitent ainsi pour s’offrir un baptême de plongée sous-marine, quelques escapades touristiques, mais n’en oublient pas de laisser le temps filer doucement en se prélassant au bord de la piscine et de s’amuser dans une grande complicité.

Calum, qui a certainement du devenir père assez précocement, est un parent taquin mais également averti, lorsqu’il s’agit de se montrer à l’écoute de sa fille ou de la préparer à affronter le monde dans lequel elle va grandir. En apparence, ces deux-là pourraient ressembler à un grand frère avec sa petite soeur, certains vacanciers faisant même la confusion. Mais alors que le séjour avance progressivement vers son terme, le vernis se craquelle et Calum laisse apparaître quelques failles, ne parvenant plus complètement à dissimuler à sa fille, pas encore adulte mais plus totalement enfant, ses troubles psychologiques.

Toute la fragilité et la beauté d’Aftersun réside dans ces scènes faussement anodines où ce qui ne se dit pas verbalement se murmure par les gestes, les regards. D’une grande délicatesse, le film suggère ce qui reste tu et qui pourrait s’avérer dévastateur, même si Sophie ose certaines questions révélatrices, le genre d’interrogations qu’un enfant verbalise sans mesurer la souffrance qui se cache. Sophie adulte apparaît par bribes, éclairs en flashforwards, regardant ces vidéos de vacances, chérissant ses réminiscences estivales tout autant qu’elle semble ressentir le besoin de reconstituer un puzzle mental pour y trouver quelques réponses. Cette période faussement dorée lui évoque peut-être, aussi, ce moment charnière où elle amorçait son passage à l’âge adulte et lors de laquelle elle vécut son premier béguin et expérimenta les premières interactions des jeunes hommes avec la gent féminine. De nombreuses années ont passé depuis cette excursion en Turquie, et Sophie demeure certainement déroutée, incapable de compléter ce puzzle, d’y trouver des explications tangibles (au fait qu’elle n’a jamais revu son père par la suite ?) et de déceler ce que ces images immortalisées ne lui dévoileront jamais.

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Avec candeur parfois, gravité d’autres fois, mais toujours justes, souvent tendres et facétieux, Frankie Corio et Paul Mescal forment ce duo si fragile et si attachant, tandis que la pré-adolescente traverse ses premiers tourments existentiels et commence à comprendre ce que son père tente de lui dissimuler, pour son bien, préférant badigeonner de crème solaire ses frêles épaules que d’y faire peser une trop lourde charge psychologique. Ils donnent corps à ce récit intime, à fleur de peau, souvent sur un fil ténu, à la lisière des ténèbres, avec un naturel désarmant et poignant.

Alors, quand Aftersun se conclue sur une séquence métaphorique, qui s’inscrit dans un espace trouble entre la mémoire et le fantasme – que chaque spectateur devra décrypter par lui-même –, suggérant subtilement la douleur d’une absence imminente devenue indélébile, on a l’impression de refermer un album photos avec mélancolie, renvoyant ces jolis instants partagés à de tenaces souvenirs, teintés de mystère, de regrets et de poésie. Une tranche de vie couchée sur pellicule, une séquence d’intimité, aussi précieuse que fugace.

Bande-annonce

1er février 2023 – De Charlotte Wells, avec Paul MescalFrankie CorioCelia Rowlson-Hall


Grand Prix au Festival de Deauville 2022