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PORTRAIT | Michel Piccoli, l’insaisissable

Nous n’en aurons jamais fini avec Michel Piccoli. Au lendemain de l’annonce de son décès, cette pensée console. Nous n’aurons jamais fini de parcourir son extravagante filmographie. Il nous faudra plusieurs vies pour découvrir l’oeuvre que le comédien a bâti en une seule. 

Étalée sur huit décennies, sa filmographie donne en effet le vertige. Chacun, selon ses sensibilités, y retrouvera facilement ses boussoles, Le Mépris (Jean-Luc Godard, 1963), Belle de jour (Luis Buñuel, 1967), Dillinger est mort (Marco Ferreri, 1968) ou Les Choses de la vie (Claude Sautet, 1970). Mais ce qui frappe, c’est combien ce parcours est irréductible aux courants, placé sous le sceau de la curiosité et de l’indépendance, hors des chapelles. Piccoli c’est Sautet ET Buñuel, Lelouch ET Godard, Rivette ET Ferreri, Demy ET Granier-Deferre. 

Piccoli a cultivé tous les champs de la cinématographie sans jamais cesser de se réinventer. C’est moins la volonté de brouiller les pistes que la peur de se répéter qui semblait guider ses choix. Et l’audace. Son prodige aura été d’atteindre une si grande popularité sans faire aucune concession. Il se sera délecté à incarner les personnages antipathiques (Mado, Claude Sautet, 1976), énigmatiques (Un homme de trop, Costa Gavras, 1967), ambigus (Le Saut dans le vide, Marco Bellochio, 1980, Prix d’interprétation au Festival de Cannes). Il aura joué les mégalos (Le Sucre, Jacques Rouffio, 1978), les cyniques (Le Prix du danger, Yves Boisset, 1983), collectionné les salauds, les tordus, les magouilleurs sans que son image n’en soit jamais écornée.

Aux volutes de fumées des éternelles cigarettes se mêlaient volontiers les nuages qui paraissaient s’accumuler derrière son haut front. Piccoli aura trimbalé un beau souci doublé d’une autorité naturelle pendant des années, installant un personnage intimidant et volcanique, plus sombre que ses épais sourcils, au charme vénéneux. 

Deux rôles dans les années 80 vont symboliser une bascule. De Mauvais sang (Leos Carax, 1986) à Milou en mai (Louis Malle, 1989) Piccoli passe de l’ombre à la lumière. Les rôles marquants de l’âge mûr seront à la fois plus solaires et plus lunaires, donnant à une exceptionnelle longévité, des airs d’enfance retrouvée, comme une échelle sans fin aux barreaux toujours plus vaporeux. On redécouvre une fantaisie déjà présente dans des compositions un peu oubliées, chez Brel, Faraldo ou le Ferreri de Touchez pas à la femme blanche ! Agnès Varda (Les Cents et une nuits de Simon Cinéma, 1995) l’intronise Monsieur Cinéma, Simon de son prénom, hommage de dame à Dame, où il est un magnifique centenaire à la mémoire qui flanche. Il déclinera merveilleusement les troubles de la vieillesse avec Manoel De Oliveira (Je rentre à la maison, 2001) et Nanni Moretti (Habemus Papam, 2011).

 

Michel Piccoli, allure flottante, quitte alors discrètement l’écran.   

Éternellement Capri, un lit froissé, éternellement dans vos yeux les fesses de Bardot. 

Éternellement une cigarette allumée, le pouce entre les lèvres, éternellement dans vos yeux, le dos de Romy. 

Vous n’en aurez jamais fini avec nous, Monsieur Piccoli.




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