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Jean-Pierre Bacri est mort, zaï zaï zaï zaï

On croit connaître la chanson et puis un jour on se retrouve tout seul sur la colline. Jean-Pierre Bacri est mort des suites d’un cancer. Voilà une annonce qui lui ressemble, sans faux semblant, sans paraphrase, sans hypocrisie. Les messages envahissant lundi soir les réseaux sociaux en disaient long sur la cote d’amour du comédien auprès du grand public.

En quarante ans de carrière, l’acteur n’a pas énormément tourné. Beaucoup de petits puis seconds rôles jusqu’au milieu des années 90 où son jeu se distingue par une forme d’impatience, de nervosité. Il alterne comédies populaires (chez Arcady, Besson, Poiré) et films plus intimistes (Chez Kurys, Tacchella, Krawczyk). On décèle rapidement une appétence pour les films de groupe au milieu desquels il promène une indocilité qui le singularise. Sa filmographie témoigne alors d’un désir de circuler parmi les familles du cinéma français jusqu’à en rassembler une avec la complicité d’Agnès Jaoui. Cuisine et dépendances opère une bascule dans la carrière de Bacri. Scénaristes reconnus, les « Jabac » enchaînent succès et  distinctions. Ils sont abonnés au César du meilleur scénario qu’ils reçoivent quatre fois entre 1994 et 2001 (Smoking/No smoking, Un air de famille, On connaît la chanson, Le Goût des autres).

Bougon sensible

Tandis que l’acteur se fait plus rare, l’homme devient peu à peu, à son corps défendant, un personnage public figé dans l’image de l’éternel râleur, le ronchon préféré des français. Une étiquette certes alimentée par des rôles forts en gueule mais qui obère très largement la palette des rôles qu’il endosse, que ce soit dans un profil le plus tendre (Les Sentiments, Une femme de ménage) ou désenchanté (Kennedy et moi, Adieu Gary).

Réfractaire à la promotion, Bacri peut être irritable en interview, cassant lorsqu’il se sent piégé. Pourtant, lorsqu’on lui donne le temps et qu’il se sait en confiance, c’est un esprit profondément libre qui émerge, portant un regard lucide et indépendant sur son métier, la société et ce qui l’intéresse le plus, l’observation des relations humaines. Homme intègre et drôle, il va devenir, toujours à son corps défendant, une boussole comme pouvait l’être par le passé Georges Brassens. L’image du bougon de service qui lui colle à la peau l’attriste, lui qui déteste le prêt-à-penser, bat en brèche les généralités et refuse les raccourcis. On aime l’homme qui nage à contre courant, celui qui admire Robert Musil et avoue n’avoir rien compris à L’Année dernière à Marienbad (ce qui n’empêchera pas la double collaboration avec Resnais, ô combien fructueuse).

Bacri Jaoui

Au cinéma, on commence à dire « Bacri fait du Bacri ». Il y a une forme d’aveuglement dans la popularité qui uniformise des interprétations pourtant d’une grande subtilité. Acteur de la voix et du visage dont il joue à merveille des mille expressions qu’il recèle (un haussement de sourcil, un sourire candide, un maxillaire serré), il a, au fil du temps, su faire évoluer la raideur en tension, il a surtout su briser la carapace et laisser affleurer dans presque tous ses personnages une brisure. Derrière la frustration de Guido, les humeurs d’Henri, l’indifférence de Simon Polaris, la jalousie de Castella, l’impatience de Max, Bacri cachait de moins en moins la sensibilité de Jean-Pierre.

Sa discrète élégance va nous manquer, silhouette vêtue de noir dont nous aurions dû soupçonner que la maigreur n’était pas bon signe. L’homme parti sans prévenir, restent ses films, pommes pendues à un pommier, la morsure du temps en a déjà élevé quelques uns au rang de classiques. 

Jean-Pierre Bacri est mort, il nous a coupé le sifflet.

 




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