Pebbles

PEBBLES

Dans le village agricole d’Arittapatti, dans le sud de l’Inde. La femme de Ganapathy fuit son domicile à la suite des violences perpétrées à son encontre par ce dernier, constamment ivre. Ganapathy est déterminé à la ramener à la maison. Dans sa belle-famille, Ganapathy provoque une scène terrible, son fils déchire alors l’argent du voyage de retour. C’est le début d’une marche de 13 km pendant une des journées les plus chaudes de l’année.

Critique du film

Le résumé de l’histoire de Pebbles, premier film de l’indien P.S. Vinothraj, est aussi bref que sa durée, à peine une heure et dix minutes. Juste un père et son fils qui font un voyage de quelques kilomètres sous un soleil caniculaire, d’un village à un autre. Et pourtant, malgré cette intrigue on ne peut plus simple, le film rivalise d’ingéniosité et d’audace pour parler de la pauvreté et de la précarité d’une très modeste famille dans le sud de l’Inde.

Tout se retrouve compris dans quelques détails. Le dénuement se retrouve dans chaque plan, une école surpeuplée, un kiosque épicerie tenue par un vieillard et un tripot de fortune où l’on retrouve une foule d’hommes désœuvrés qui passent le temps entre jeux de cartes et boissons frelatées. Le père est pauvrement vêtu et ne semble rien posséder, l’argent du bus qui doit le mener au village de sa femme, il doit le gager auprès de connaissances.

Les brasiers de la colère

Ce qui frappe d’emblée c’est la colère qui habite son visage. Il est comme un brasier enflammé qui ravage toutes ses expressions. L’agressivité et la vulgarité de chacun de ses mots ne sont que des prolongations évidentes à ce regard fiévreux et haineux qu’il arbore à chaque instant du film. Quand son fils le croise la première fois à son école, toute émotion le quitte pour rester, dès lors, figé dans une sorte de torpeur dont il ne sortira pas. Et pourtant il ne peut le quitter, malgré les coups et les insultes, le petit garçon suit son bourreau de père sur ce qui ressemble à un chemin de croix sans réelle destination. Cette longue marche est comme une épreuve ultime en enfer, pour enfin regagner une maison où ne règne aucune quiétude, sauf le sourire de la petite sœur à laquelle il a réservé un cadeau. Sur ces quelques détails et les mots crachés à une vitesse incroyable, on apprend donc beaucoup sur cette famille et ces problèmes. Malgré la violence contenue dans le personnage du père, il plane un silence et un calme que ne percent que quelques notes d’une musique curieusement mélodique.

Pebbles
Mais ce qu’on retient et qui reste longtemps en mémoire après les derniers instants du film, c’est la virtuosité de la mise en scène qui ne cesse de surprendre. Caméra à l’épaule, sur de longs plans tout en grâce, le cadre suit les personnages. Quand le fils arrive au village de sa mère, on le quitte à chaque nouvelle personne rencontrée, dans un jeu de passage de relai qui fait tournoyer les plans avec une audace et une vivacité folle. On écoute chacun jusqu’à sa disparition du champ pour laisser la place à quelqu’un d’autre qui expose ce qu’il à nous apprendre de la situation. Ce dynamisme de la caméra apporte une charge en intensité qui alimente en énergie l’explosion du père qui se déchaine sur sa belle-famille, les rouant de coups avant de partir furieux, suivi de son fils. Le reste de la route, expiation lente et douloureuse de tous les péchés exposés, est fascinante. On ne rencontre presque rien sur cette piste caillouteuse qui donne son nom au film. Le fils en met un dans sa bouche, certainement pour créer la salivation nécessaire à sa survie par un tel temps cauchemardesque de chaleur.

Ce dernier tronçon réussit à instiller malgré tout de la malice, un morceau de verre coupé lui permettant de jouer un tour à ce père abusif et colérique qui ne le foudroie que plus fort de ce regard vénéneux. La dernière scène fait écho à l’une des toutes premières, là où tous les hommes semblaient rassemblés pour leurs petits plaisirs égoïstes, on retrouve un groupe fourni de femmes qui tentent de remplir des récipients d’une eau saumâtre qui est tout ce qu’elles ont pour rafraichir leurs familles. Le bruit régulier et lancinant de l’eau versée dans une outre prend alors la place finale de cette histoire toute simple mais racontée avec beaucoup de grandeur.

Le réalisateur réussit à magnifier ce paysage désertique et à le faire exister par les merveilles déployées de sa caméra. Il dit plus sur ces communautés en quelques minutes que bien des fictions longues et ennuyeuses en des heures vaines et pompeuses. Pebbles est un récit à l’os, réduit à une épure qui force le respect par la qualité de sa mise en scène. Une bien belle rencontre de cinéma.

2021De PS Vinothraj, avec Chellapandi et Karuththadaiyaan.





%d blogueurs aiment cette page :