Le_Peuple_Loup

LE PEUPLE LOUP

Dans l’Irlande du XVIIème siècle, Robyne Goodfellow, jeune fille au caractère vif, peine à s’adapter à son existence nouvelle et rêve à retourner chasser le loup en Angleterre aux côtés de son père, qui l’élève seul. Effrontée, et démangée par le désir de se confronter à sa peur, elle choisit de s’aventurer dans les bois à la recherche des loups, dont elle va finalement faire la connaissance, découvrant le pouvoir de l’âme derrière la bête.

CRITIQUE DU FILM

Débutant dans une atmosphère médiévale classique, le film est rapidement redirigé vers une sorte d’alliance entre la culture celtique et la religion du christianisme, les deux marchant côte à côte dans un accord fragile pouvant se briser à tout moment. Sur fond de conquête anglaise, les réalisateurs font le choix subtil de suivre une famille monoparentale immigrée qui tente de se persuader qu’elle a fait le bon choix, qu’elle est au bon endroit. Ce sont du moins les interrogations visibles du père Goodfellow (« bon gars » en anglais), chasseur au service du souverain Messire Protecteur, dont le nom revient à maintes reprises avant que le personnage n’entre en scène, ce qui ne manque pas de susciter une certaine inquiétude, comme une crainte à son égard. Mais le méchant de l’histoire n’en fait pas une histoire manichéenne pour autant, loin de là.

Malgré un despotisme évident, engendrant des sujets relativement soumis, le doute plane sur ce peuple d’humains sédentaires dont certains critiquent en secret le gouvernement. Les gardes, certains bergers, le chasseur serviable sont autant de personnes sensibles qui, bien qu’elles avancent comme enclenchées sur les rails d’un petit train, chuchotent tout bas leur mécontentement, et leurs peurs. Il s’agit donc d’une peur bien plus profonde que celle prétextée envers les loups.

Le peuple loup
Hermétique à l’idée d’aller travailler aux cuisines du château, la petite Robyne développe cette lubie charmante qu’ont parfois les enfants à l’imagination débordante : aller explorer ce qu’elle ne connaît pas, entrant ainsi en contradiction totale avec le nouveau mode de vie fixe et sans fantaisie qui se présente à elle. « C’est pour ton bien« , tente de la rassurer son paternel frôlant quant à lui d’ores et déjà le burn out. Mais Robyne refuse d’entendre cette soi-disante attention, cette parole en vérité bien égoïste, formulée sous la pression d’une peur pour l’avenir de son enfant. Tout ce qui ne peut s’apprivoiser doit être éliminé. Le film pourrait se résumer en cette parole du souverain rongé par un manque cruel d’émotion. De fait, il vit enfermé au sein d’un château-fort aux valeurs faibles, n’existant que par cette domination qu’il exerce insidieusement sur tous, y compris ceux qui ne croient pas en lui.

L’une des particularités de la mise en scène réside dans sa recherche visuelle, donnant autre chose à voir qu’une simple image animée pourtant déjà très belle initialement. Tous les détails, depuis l’usage de techniques traditionnelles jusqu’aux transitions de scènes assumant un trait parfois dénué de couleur, participent à la poésie de son univers, riche en références symboliques païennes. L’écart visuel entre les séquences citadines, tout en symétrie et géométrie pointue, et celles se déroulant dans la forêt, au contraire ondulante et colorée, évoquant la souplesse de l’âme, transporte le spectateur dans un monde binaire qui lui fait regretter la forêt lorsque l’action ne s’y situe pas.

le peuple loup
Rythmée par une ensorcelante bande originale signée par Bruno Coulais, compositeur du sublime Himalaya, l’enfance d’un chef (1999), également Coraline (2009), à laquelle vient se joindre la jeune chanteuse norvégienne Aurora, l’aventure décolle et alterne entre rapides successions de tableaux d’une singulière beauté, et un cheminement plus lent et contemplatif. Au travers de l’amitié naissante entre Robyne, enfant humaine, et Mève, issue de la meute des Wolfwalkers, il est possible de percevoir la métaphore de la femme sauvage, celle qui accepte de descendre au plus profond d’elle-même pour se comprendre et s’écouter, celle qui court avec les loups, ainsi que l’écrit l’auteure mexicaine Clarissa Pinkola Estés dans son fameux recueil d’interprétations symboliques des contes et mythes au travers de la femme sacrée. L’histoire de Robyne des bois rejoignant en tout point l’idée de celle qui accepte sa dualité, sa part sauvage, devenant entièrement libre.

Dans une version adaptée en roman graphique par Sam Sattin prévue pour janvier 2021, Le Peuple Loup proposera une approche plus détaillée des Wolfwalkers, et cette étude des coutumes irlandaises qui teinte le film si justement sans empiéter sur la source de l’histoire, à savoir la réflexion liée à la peur de l’inconnu, de l’Autre. Dans une double lecture qui ravira autant les enfants que les adultes, Le Peuple Loup rassure sur ce point que le sur-naturel, ce n’est que le naturel qu’on ne comprend pas.

Bande-annonce

20 octobre 2021De Tomm Moore et Ross Stewart

avec les voix de Levanah Solomon, Lana Ropion et Serge Biavan.




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