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DANS UN JARDIN QU’ON DIRAIT ÉTERNEL

Dans une maison traditionnelle à Yokohama, Noriko et sa cousine Michiko s’initient à la cérémonie du thé. D’abord concentrée sur sa carrière dans l’édition, Noriko se laisse finalement séduire par les gestes ancestraux de Madame Takeda, son exigeante professeure. Au fil du temps, elle découvre la saveur de l’instant présent, prend conscience du rythme des saisons et change peu à peu son regard sur l’existence. Michiko, elle, décide de suivre un tout autre chemin.

Critique du film

Adapté d’un ouvrage de Noriko Morishita intitulé La Cérémonie du Thé, Dans un Jardin qu’on dirait éternel nous dévoile les secrets d’une tradition japonaise séculaire autour de la préparation du thé matcha. Si résumé ainsi, on pourrait craindre que le public ne soit pas plus enthousiaste que ça à l’idée de découvrir ce film, il aurait pourtant tort de passer à côté.

Dans son film, Tatsushi Ōmori nous fait suivre deux jeunes cousines, Noriko et Michiko, qui décident de s’initier à ce rituel ancestral. Si durant les premières minutes on peut craindre d’être confronté à une mise en scène quelque peu académique, cette crainte, fort heureusement, disparaît rapidement avec l’apparition de Madame Takeda et des premières leçons données dans son pavillon. Car dès lors, le film trouve son rythme et son sens dans la rigueur de son enseignement. Un rythme auquel nous, spectateurs, ne sommes plus habitués, mais qui se révèle aussi agréable qu’apaisant, presque salutaire.

C’est l’une des principales forces du film que de parvenir à retranscrire la philosophie derrière cette tradition dans les principes mêmes de sa réalisation. Inspiré par le bouddhisme zen, cette cérémonie nécessite quasiment toute une vie pour en saisir toutes les subtilités et les bienfaits. La scène du pliage de la serviette, qui constitue la première leçon dispensée par Maître Takeda à ses deux élèves, en est la parfaite illustration. Particulièrement réussie et drôle, cette séquence montre à quel point rien n’est anecdotique dans ce rituel, et ce geste en apparence simple et banal devient ainsi source d’erreur et nécessite une extrême concentration.

On comprend très vite alors que cette cérémonie va plus loin que la seule préparation du thé. Le port du kimono, l’art de la calligraphie, la pâtisserie, les arrangements floraux, et la bonne utilisation des ustensiles pour le thé font aussi partie des gestes et savoirs que chaque élève doit apprendre à maîtriser. Enfin, « apprendre » n’est pas vraiment le mot…

« N’apprenez pas, imprégnez-vous », c’est par ces mots que Madame Takeda explique à ses disciples le cheminement qui doit être le leur. Au cours de ce parcours initiatique, patience, persévérance et humilité sont les maîtres-mots. Maîtriser un geste passe par la répétition, encore et toujours, faire et refaire jusqu’à ce que le corps prenne le dessus sur l’esprit, que ce geste devienne instinctif plus qu’intellectuel. Et il en va de même pour le moindre mouvement, qu’il s’agisse de la manière d’entrer dans la pièce, ou de la façon de s’asseoir, rien n’est laissé au hasard, rien n’est anodin. Mais il n’est pas pour autant nécessaire de comprendre la justification ou la signification derrière ces « règles », car l’abandon de soi, de sa curiosité ou de sa rationalité, sont également des étapes essentielles à ce parcours.

C’est à ce niveau que le chemin des deux jeunes cousines va d’ailleurs se séparer. Alors que Michiko va progressivement s’éloigner de cet enseignement pour se concentrer sur sa vie professionnelle et personnelle ; Noriko va y consacrer tout son temps et avancer dans la vie au rythme des rendez-vous avec sa professeure. Elle va progressivement connaître un changement intérieur, un éveil des sens et développer une meilleure perception d’elle-même et du monde qui l’entoure. Guidée par les proverbes affichés dans le pavillon cérémonial comme par les conseils de Madame Takeda, Noriko va évoluer à contre-courant d’une société hyperactive obsédée par la technologie. À travers un deuil personnel, elle va aussi comprendre l’importance de célébrer l’instant présent, de prendre conscience que chaque moment est unique et qu’il faut profiter des gens que l’on aime.

Dans un Jardin qu’on dirait éternel est un film profondément féminin, et sa réussite tient grandement à l’interprétation de ses actrices, à commencer par Madame Takeda. La professeure, particulièrement émouvante, est interprétée par la regrettée Kirin Kiki dont il s’agit là du dernier film, et qui avait marqué les mémoires ces dernières années dans les films de Hirokazu Kore-eda (Tel père, tel fils ou Une affaire de famille) ou de Naomi Kawase (Les délices de Tokyo). Face à elle, Haru Kuroki est tout aussi touchante dans le rôle de Noriko. L’actrice qui a remporté l’Ours d’argent en 2015 apporte sa douceur et sa candeur à cette jeune fille qui cherche à donner du sens aux choses de la vie.

 

 

 

Derrière la caméra, Tatsushi Ōmori a su retranscrire la dualité d’une société japonaise et de ces femmes, à la fois ancrées dans la tradition, tout en étant bien de leur époque. Pour coller au plus près de son histoire et de la poésie de cet art, il s’est appliqué à tourner dans un véritable pavillon de thé, avec les contraintes que cela implique, notamment en matière d’espace. Cette recherche d’authenticité passe aussi par la lumière naturelle qui permet de ressentir le rythme des saisons, de même qu’un soin particulier apporté aux sons provenant de la nature extérieure, et qui contrastent avec le silence qui règne à l’intérieur du pavillon.

Le rapport au temps est un élément central du film et du rituel. Pour l’illustrer, le réalisateur japonais fait plusieurs références au film La Strada de Federico Fellini. Noriko l’évoque à trois étapes de sa vie, exprimant un ressenti différent à chaque fois : D’abord, l’incompréhension d’une enfant devant cette œuvre, puis le regard passionné d’une jeune femme, et enfin l’émotion nostalgique d’une femme à l’automne de sa vie.

La tradition de la cérémonie du thé constitue un miroir sur le passé du Japon, ainsi qu’un révélateur pour celles qui la pratiquent. Elle leur apprend à relativiser et à apprécier les bonheurs simples, à percevoir la beauté de chaque jour, dans les détails imperceptibles. Le film de Tatsushi Ōmori est une ode à l’instant présent, à vivre chaque moment pleinement. Comme l’affiche Madame Takeda dans son pavillon : « Chaque jour est un bon jour ». Une philosophie qui résonne d’autant plus fortement en ces temps troublés.

Bande-annonce

26 août 2020 – Réalisé par Tatsushi Ōmori, avec Haru Kuroki, Kirin Kiki




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