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CANDYMAN

Helen Lyne, une étudiante, décide d’écrire sa thèse sur les mythes et légendes locales. C’est en visitant une partie de la ville inconnue qu’elle découvre la légende de Candyman, un homme effrayant qui apparaît lorsqu’on prononce cinq fois son nom en face d’un miroir. Helen, pragmatique, choisit de ne pas croire à l’existence de Candyman. Mais son univers bascule dans l’horreur quand une série de meurtres horribles commence …

Légende urbaine

Cet article révèle des éléments de l’intrigue

Avec la sortie prochaine de Candyman, repoussé à septembre finalement, dirigé par Nia DaCosta (Little Woods) et co-écrit avec Jordan Peele (Get Out, Us), il faut retourner aux origines de la légende urbaine qui est apparue sur les grands écrans en 1992 avec le premier film du même nom sous la direction et plume de Bernard Rose. Celui-ci adapte alors la nouvelle The Forbidden (1984) de Clive Barker, l’auteur anglais d’horreur à qui l’on doit également la franchise Hellraiser.

Mais qui est donc Candyman ? Le fils d’esclaves dont le père s’est enrichi après la Guerre civile et a pu l’envoyer à l’école, et le faire s’intégrer à la bonne société de l’époque. Son talent artistique le fait remarquer par un riche propriétaire et en faisant le portrait de sa fille (décidément!) les deux tombent amoureux et elle, enceinte. Son « intégration » à la société blanche de l’époque ne se révèle être qu’une façade puisque le père ordonne son lynchage en trois étapes. D’abord on lui coupe la main droite avec une mauvaise scie, puis on le tartine de miel afin qu’il soit piqué jusqu’à en mourir par les abeilles des ruches voisines et enfin on brûle son corps publiquement puis on répand ses cendres sur le terrain qui deviendra le quartier d’HLM Cabrini-Green, dont la construction s’est effectuée entre 1942 et 1962 dans le nord de Chicago. Revenu d’entre les morts, Candyman, dont le véritable nom s’est perdu, hante ces lieux et tue violemment ses habitants qui vivent dans la crainte de devenir sa prochaine victime.

Mais la suivante, et dernière, se révèle être Helen, une doctorante dont le sujet de thèse concerne les légendes urbaines et plus particulièrement Candyman. Pour n’avoir pas cru en sa légende, et avoir répété son nom cinq fois devant un miroir, Helen finira par devenir une partie du mythe en connaissant (presque) la même mort que lui. Candyman est une histoire de revenant urbain qui s’incarne en la confrontation du passé de l’Amérique avec le présent qui a essayé de l’enterrer sans succès. Des cendres de l’antagoniste sont nées un lieu où une nouvelle ségrégation à la fois raciale et sociale se produit : les habitants de Cabrini-Green sont en vaste partie noirs et ce projet semble plutôt être un moyen de confiner la pauvreté de Chicago en un lieu précis. La ville est au cœur du film comme nous le montre le premier plan, ce travelling en contre-plongée qui donne à la fois aux spectateurs un sentiment de petitesse et de grandeur.

Accompagné de la magnifique bande son de Philip Glass, le film s’apparente à Alice et son passage par le miroir plutôt qu’une descente aux enfers d’Eurydice (Orphée est celui qui descend aux Enfers en vérité, sa bien-aimée n’est que son prétexte). 

Comme l’héroïne de Carroll, Helen va traverser un seuil, celui de sa position confortable de classe supérieure universitaire blanche, et quitter son condo pour aller trouver l’exacte réplique de son bâtiment à quelques quartiers de là. Bien sûr qu’elle ne croit pas à ces histoires de Candyman, puisqu’elle n’est pas de ceux et celles qui se font tuer régulièrement, loin des yeux du milieu qu’elle fréquente. Les spectateurs et spectatrices sont projetés avec elle dans les appartements sociaux de Cabrini-Green, observateurs extérieurs avec la distance d’un appareil photo, ou d’une caméra. Helen sourit au début du film lorsqu’elle trouve un article relatant la mort de Ruthie Jean, la dernière victime en date, comme les spectateurs se nourrissent des meurtres et souffrances sanglantes qui se déroulent sur l’écran. Le genre de l’horreur s’est malheureusement construit sur les cadavres de « minorités ». Même lorsque l’antagoniste est un homme noir, il a du mourir d’une façon atroce et revenir d’entre les morts pour tourner sa colère vers, paradoxalement, ses semblables. Helen est la parfaite victime et le choix de cette jeune et jolie blonde protagoniste n’est pas un hasard. Dans un moment qui se veut un commentaire sur la société et dont le ton semble terriblement artificiel, l’héroïne s’exclame « a white woman goes in there, gets attacked and they lock place down ! » Une phrase bien méta qui devrait arrêter un instant les spectateurs. 

Un cauchemar bien réel

Le film renverse adroitement le privilège d’Helen en la faisant basculer du côté des accusées, de celles qu’on ne croit pas et qu’on soupçonne au lieu d’être capables de violence et de sang. Candyman ne va pas la tuer, mais la faire accuser de l’enlèvement d’Anthony, l’enfant d’Anne-Marie, qui a essayé de prévenir en vain la police lors du meurtre de Ruthie Jane, et futur protagoniste du nouveau film de la saga. Traitée comme une criminelle, emprisonnée et humiliée, Helen ne vit-elle pas là une peur bien réelle de la population noire des États-Unis et transposée en un cauchemar pour les spectateurs blancs qui n’auront guère à se soucier d’une telle possibilité une fois le film achevé ? Candyman ne la laisse pas s’échapper si facilement et va la faire accuser du meurtre de Bernadette, sa collègue, ce qui conduira à son internement en hôpital psychiatrique jouant ici avec une peur bien féminine, et un trope du cinéma d’horreur, celui de la « mad woman in the attic » ou de la femme qui criait au loup. Personne ne croit la vérité, et Helen comprend alors ce que vivent les habitants de Cabrini-Green, mais il a fallu passer par sa souffrance personnelle jusqu’à son sacrifice ultime. Candyman ne veut pas véritablement la tuer, elle ressemble à sa fiancée et souhaite donc être unie avec elle pour l’éternité, en échange de l’enfant.

Il est néanmoins regrettable que le film se finisse avec ce côté « white savior » puisqu’elle sauve bel et bien Anthony, mais tue également une seconde, ou devrait-on écrire une deuxième, fois Candyman avant de succomber à ses brûlures. Elle est non seulement immortalisée dans la mémoire des habitants, qui viendront l’honorer à son enterrement et feront d’elle une magnifique fresque, mais également dans celle de la ville puisqu’Helen devient à son tour une légende urbaine. 

Le premier film de la série mérite son titre de « classique » du genre grâce à une composition musicale sans faute dont la mélodie nous hante autant que l’atmosphère pesante du film par son confinement à des lieux clos dans une ville elle-même resserrée et étouffante par son inaction. Pendant qu’Helen découvre les inégalités raciales de Chicago, et le mythe de Candyman, son professeur de mari la trompe avec une jeune étudiante, et regrettera sa feu femme à la fin du film, se remémorant avec tendresse tous les moments où elle lui servait à manger et l’accueillait à la maison, en parfaite femme au foyer. Difficile de ne pas être tentée par la proposition d’immortalité et de croyance éternelle de Candyman et d’être hypnotisée comme Helen par le charme de Tony Todd dont le baiser mortel s’accompagne de notes musicales au ton sacré et du bruit des abeilles qui s’écrasent entre leurs deux bouches.

Les derniers mots du film sont ceux d’Helen, revenue d’entre les morts sa blonde chevelure disparue mais son teint blanc devenu cadavérique et ses lèvres sanguines, au moment d’empaler Trevor son mari : « What’s the matter ? Scared of something ? » L’écran devient noir et le réveil de cette séquence quasi-onirique s’effectue par les cris (par ailleurs rares dans le film qui privilégie le dialogue avec l’antagoniste) de sa nouvelle petite amie, et les spectateurs pourraient alors se poser la même question. De quoi Candyman est-il véritablement la peur semble être une question secondaire à celle-ci : De qui représente-t-il la peur ?


Disponible sur CanalVOD


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