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DAG JOHAN HAUGERUD | Interview du réalisateur de la Trilogie d’Oslo

Après avoir exploré les thèmes qui traversent la trilogie d’Oslo de Dag Johan Haugerud dans la première partie de notre entretien, intéressons-nous désormais à la réception de son œuvre, qui a acquis récemment une reconnaissance internationale plus importante, notamment grâce à l’Ours d’Or remporté pour Rêves, et va permettre à ses films d’atteindre un public plus large. Nous profiterons également de cette occasion pour en savoir plus sur sa collaboration avec les technicien·ne·s ayant travaillé sur la trilogie, puis pour évoquer la place du cinéma norvégien — et plus largement nordique — sur la scène internationale, ainsi que les politiques culturelles qui soutiennent cette dynamique.

Toujours au sujet de votre collaboration avec les différents technicien·ne·s qui ont travaillé sur les trois films de la trilogie, comment le sound design a-t-il contribué à renforcer l’atmosphère onirique et les environnements ?

Le sound design, c’est un long processus, vous savez. Dans Rêves, le sound design est donc assez subtil car il est moins bavard que les deux autres. Il devrait l’être. Mais en même temps, il devait être très précis. On a donc essayé plein de choses différentes et il fallait aussi que ça colle avec la musique. On envisageait qu’il n’y ait pas beaucoup de musique dans les trois films et que lorsqu’on en utiliserait, on souhaitait qu’elle ressorte d’une certaine manière. Pour qu’on ait presque l’impression que c’est un personnage à part entière.

Et comme dans Désir, on utilise beaucoup de « pillow shots », on regarde la ville et les paysages urbains, avec une sorte de respiration entre les dialogues. Et on a pensé que ce serait la musique qui marquerait les pauses. Qu’on pourrait simplement s’installer confortablement, contempler la ville, écouter la musique et attendre la suite. On a essayé d’en faire un principe pour les trois films, mais de différentes manières. Cela fait aussi partie de la conception sonore, de la conception musicale. Oui, mais on a travaillé le son de manière très différente sur chaque film.

Trilogie d'Oslo - Rêves

Rêves, en salle depuis le 2 juillet 2025

De nombreux cinéastes intègrent la ville comme un personnage à part entière et c’est que vous faites admirablement dans votre trilogie, comme Richard Linklater a pu le faire avec sa trilogie, où chaque ville donnait une coloration à l’histoire. On retrouve le même esprit chez vous… Cependant, dans Rêves, la musique semble plus présente. 

Dans Rêves, nous avons utilisé beaucoup de musiques différentes. La compositrice principale est Anna Berg. Mais il y a aussi Peder Kjellsby qui a composé la musique de Désir and Amour. Nous avons aussi utilisé de la musique déjà existante, comme Benjamin Britten et Hilma Nikolaisen, un chanteur de rock norvégien.

Votre compatriote, Lilja Ingolfsdottir (réalisatrice de Loveable), nous parlait récemment du choix de ne pas utiliser de compositeur pour son film, afin de ne pas imposer au public ce qu’il doit ressentir.

Oui, je suppose que ce qu’elle voulait dire, c’est qu’elle ne veut pas utiliser une bande-originale de manière ordinaire. Je suis d’accord avec elle. Je pense que c’est problématique. Et je pense que ça peut l’être, pour moi aussi, quand je regarde d’autres films, d’avoir l’impression d’être forcé à ressentir certaines choses. La musique est vraiment un outil qui peut avoir cet effet. Mais en même temps, ça peut aussi être bien. Il faut juste l’utiliser comme il faut, ou de la bonne manière, si je puis dire.

On l’utilise souvent dans Rêves, par exemple, pour vraiment souligner les émotions, les amplifier. Et je pense que c’est bien aussi, d’une certaine manière, parce que ça peut vous émouvoir, ou vous toucher davantage. Et c’est aussi une sensation agréable pour le public. Mais je pense que le film doit être autonome. Ensuite, il faut le créer tel quel, sans musique. Et après le montage, il faut voir si le film a vraiment besoin de musique. Et je dirais probablement que oui, car j’aime beaucoup la musique, et j’aime aussi beaucoup en écouter quand je regarde un film.

La bande originale de Rêves est très particulière. Quelqu’un qui n’aurait pas vu le film et écouterait la bande-originale ne pourrait pas deviner de quel genre de film il s’agit… C’est très singulier pour un film sur le sentiment amoureux. 

Oui, parce qu’Anna Berg est une compositrice moderne, qui écrit de la musique contemporaine pour orchestre, pour de petits quatuors ou des orchestres de chambre. Je voulais donc l’utiliser telle qu’elle est, en tant que compositrice. Mais je pense que ce film avait aussi besoin de tout un éventail de sonorités, modernes et contemporaines, mais aussi de thèmes plus mélodiques, qu’il possède également. Il fallait refléter une certaine naïveté, car après tout, la jeune fille a 16 ou 17 ans, et elle a toutes ces strates d’émotions en elle, mais certains éléments sont aussi très banals, d’une certaine manière. Il y a donc une chanson qui est intégrée à la bande originale, qui s’appelle Willingly, une sorte de chanson plus adolescente.

C’est ce mélange de candeur et de maturité qui rend son personnage encore plus beau. Elle vit ce premier sentiment amoureux, très fort et inédit, mais c’est une jeune fille déjà très éveillée, avec une vie intérieure riche.

Mais la musique est censée être liée à la jeune fille, mais aussi à sa mère et à sa grand-mère. Elles ont probablement des goûts différents et écoutent des styles de musique différents. Il nous fallait donc une variation, tout en conservant une cohérence. D’ailleurs, si vous écoutez attentivement, vous pouvez entendre que dans sa musique, Anna Berg a repris quelques partitions de Britten pour l’utiliser dans une variation plus contemporaine.

Dreams (Sex Love)

Rêves, en salle depuis le 2 juillet 2025

Parlons de l’accueil réservé à votre travail récemment. Nous espérons découvrir vos précédents films grâce à la reconnaissance que vous commencez à acquérir à l’international, notamment grâce à l’Ours d’Or pour Rêves. Comment avez-vous vécu cette expérience, puis la sortie de vos films en Norvège, en France dans quelques jours et à l’étranger plus généralement ?

C’était une expérience nouvelle, car j’avais déjà réalisé quelques films. Pas beaucoup, mais ils n’avaient pas eu beaucoup de succès hors de Norvège. C’est donc une situation nouvelle pour moi. Il faut se réjouir que cela arrive, car c’est évidemment agréable de toucher un public plus large, partout dans le monde. On ne peut donc qu’être reconnaissant, je suppose.

Pensez-vous que le cinéma norvégien, et peut-être même nordique dans son ensemble, arrive à un stade où il bénéficie d’une plus grande attention ces dernières années avec des prix importants dans des festivals européens majeurs ?

Oui, certainement, surtout cette année. L’année a été plutôt fructueuse pour le cinéma norvégien. Mais la situation peut changer très vite. Je pense que nous pouvons dire que nous surfons sur une vague. Cela s’explique par les politiques culturelles mises en place il y a quelque temps, qui ont permis à l’industrie cinématographique norvégienne de se développer comme elle le fait actuellement. Et cela ne concerne pas seulement les films pour des raisons cinématographiques, mais aussi les séries télévisées. De nombreuses séries télévisées ont rencontré un franc succès hors de Norvège. Je pense donc que la période actuelle est très favorable. Les politiques doivent en prendre conscience et tenter de la renforcer. Car il faut une certaine volonté politique pour obtenir ces résultats.

Cette année a été plutôt fructueuse pour le cinéma norvégien. Mais la situation peut changer très vite. Nous surfons un peu sur une vague qu’il faut savoir entretenir.

De notre prisme français, où le cinéma reste encore assez privilégié, c’est un sujet intéressant de prendre conscience des politiques culturelles de nos voisins européens – même si ce système est menacé par la politique du gouvernement actuel, qui privilégie le profit à la création. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la politique culturelle en Norvège ?

En Norvège, la tradition cinématographique n’est pas aussi forte qu’en France. Je pense que le cinéma français occupe une place très particulière dans la société. Je pense que c’est peut-être le pays au monde qui possède la culture cinématographique la plus forte, de mon point de vue. Et ce n’est pas comme ça en Norvège. Ce n’est pas comme ça en Suède non plus. Ce n’est pas comme ça en Scandinavie. Bien que nous ayons eu beaucoup de réalisateurs très célèbres par le passé… Mais la culture n’a pas été aussi forte ces dernières années. Il faut donc travailler là-dessus en permanence. Il faut consolider la tradition et mettre en place une politique qui la rende possible. C’est ce que nous avons pour la littérature en Norvège, je dirais. La scène littéraire est très dynamique en Norvège.

Désir (Sex)

Désir (Sex), en salle le 9 juillet 2025

La littérature nordique est très populaire à travers le monde…

Oui, nous avons une culture forte pour cela. Il est possible de publier des livres en Norvège sans risquer autant d’argent, parce que la plupart des livres publiés sont achetés en bibliothèque. Ainsi, l’argent revient ensuite aux auteurs.

C’est la raison pour laquelle les cinéastes norvégiens (et plus généralement scandinaves) ne s’exportent pas aussi bien selon vous ? Après ce beau début d’année 2025 pour le cinéma norvégien, avez-vous discuté de l’exemple danois avec le Dogme 95 qui pourrait créer une émulation supplémentaire ?

On se connaît assez bien, les réalisateurs norvégiens. On se connaît déjà parce qu’on se croise dans la rue ou dans différents contextes. Je ne pense pas qu’il y aura forcément de collaboration entre nous, parce que je pense que nous avons tou·te·s des ambitions et des envies différentes. Il y a de nombreuses années, j’ai suivi un cours d’écriture créative. Le plus important, c’était de développer sa propre voix à travers la littérature. Et je pense que c’est pareil au cinéma. C’est très important… Si on pense qu’on veut devenir auteur, il faut le faire. Et je pense que c’est probablement ce qui se passe en Norvège actuellement. C’est une sorte de cinéma d’auteur.

Faire trois films d’un coup n’est pas plus épuisant qu’en faire un seul. C’est presque plus facile, car on peut apprendre de ses erreurs entre chaque film.

Trouver sa propre voie, c’est quelque part un peu aussi ce que raconte votre film Rêves. Cette adolescente doit trouver sa propre voix, différente de celle de sa grand-mère qui est poète. Maintenant que la trilogie est terminée, quel regard portez-vous dessus ?

J’ai tendance à ne retenir que les aspects positifs. Oui, c’est une bonne façon de penser (rires). Je ne me souviens pas beaucoup de points négatifs. Du coup, je considère cela comme une aventure ou une période de travail très agréable. On pourrait penser que faire trois films d’un coup serait très dur et épuisant. Mais un seul film peut déjà être très épuisant. Alors je ne pense pas que trois films soient encore plus épuisants. C’est à peu près le même genre de pression. Et c’est encore plus facile, car quand on tourne le premier film de la trilogie et qu’on a l’impression de ne pas avoir tout réussi, on sait qu’on a une seconde chance dans quelques mois. Et si on n’y arrive pas, on sait qu’on peut encore retenter sa chance. C’était donc plus facile, d’une certaine manière. Et j’ai trouvé que le dernier qu’on a tourné, Désir (Sex), avait été une période de tournage très relaxante. J’ai eu l’impression que tout le monde était un peu plus détendu. Mais ce n’est que ma perception, c’est peut-être mon côté positif qui parle et qui occulte ce qui s’est mal passé. (rires)

C’est une bonne philosophie… Certains réalisateurs ne semblent parfois que retenir les défauts, surtout lorsqu’ils revoient leurs films, ils se mettent alors à regretter des choses qu’ils auraient pu faire différemment. Vous semblez très serein par rapport à ça…

Peut-être parce qu’il faut savoir que ce ne sera jamais comme on l’avait imaginé. Ce sera toujours différent. Et il faut assumer cela et essayer d’en profiter. C’est le cas pour la réalisation cinématographique en tout cas, car c’est une collaboration. Différentes personnes interviennent et apportent des modifications au film, l’influençant de différentes manières. Et c’est là, je suppose, l’intérêt de faire des films : cette collaboration.

Pour en savoir plus :

Découvrez l’intégralité de notre entretien avec Dag Johan Haugerud


Remerciements : Rachel Bouillon, Sacha Gouffier (Pyramide), Visions Nordiques