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SORRY, BABY

Quelque chose est arrivé à Agnès. Tandis que le monde avance sans elle, son amitié avec Lydie demeure un refuge précieux. Entre rires et silences, leur lien indéfectible lui permet d’entrevoir ce qui vient après.

Critique du film

D’abord connue pour ses vidéos humoristiques devenues virales sur les réseaux sociaux et son travail éditorial au New Yorker, Eva Victor réalise avec Sorry Baby un premier long métrage aussi personnel que maîtrisé. Présenté en clôture de la Quinzaine des Cinéastes à Cannes, le film s’inscrit dans une lignée délicate de récits sur le trauma et la guérison, entre rires et silences, et confirme la naissance d’une voix singulière au croisement de la comédie et du drame existentiel.

Le point de départ est lourd de sens, mais traité avec une pudeur constante : Agnès, jeune chercheuse en littérature anglaise et aspirante écrivaine, tente de reprendre pied après une agression sexuelle. Si le film ne montre jamais frontalement la violence subie, qui restera hors champ, il capte avec une acuité rare l’onde de choc qui en découle – l’inertie du quotidien, l’isolement, les corps et les esprits marqués par ce qu’ils ont traversé. Plus que de filmer la violence ou l’agression, Eva Victor s’intéresse avant tout au processus de guérison, un film comme un remède pour toutes celles qui traversent une crise similaire.

Chapitré, le récit épouse les étapes du temps psychique – où jours, mois et années se confondent – pour mieux traduire cet état de suspension dans lequel se trouve Agnès. La mise en scène, jamais démonstrative, rend compte de cette perte de repères avec pudeur, pour mieux laisser émerger les échos intérieurs du personnage. Au cœur du parcours d’Agnès, un lien apparaît essentiel : Lydie, son amie fidèle, toujours présente même après un déménagement, un mariage et un enfant. En confiant ce rôle à Naomi Ackie, déjà remarquée dans Mickey 17 de Bong Joon Ho et The young lady, Victor trouve une partenaire de jeu idéale. L’actrice britannique incarne une Lydie lumineuse, libre, ancrée, qui fait contrepoids à l’errance d’Agnès. Leur relation constitue le socle émotionnel du film, cette preuve que l’amour peut aussi résider dans une amitié qui ne lâche jamais prise.

Sorry baby

La grande réussite de Sorry Baby est de conjuguer gravité du sujet et légèreté de ton, sans jamais verser dans le cynisme ni le pathos. L’humour, présent par touches, agit ici comme un révélateur, une arme de survie face à l’absurdité ou l’indifférence. Il ne minimise jamais la douleur d’Agnès, mais désamorce l’angoisse et permet son chemin introspectif, alors qu’elle tente de retrouver un sens à sa vie et une identité plus en adéquation avec ses multitudes intérieures. Ainsi, le film avance sur un fil délicat, porté par une écriture subtile, saluée à Sundance par le prix du scénario.

Soutenu dès l’origine de son projet par Barry Jenkins et sa société Pastel (à qui l’on doit notamment Aftersun et Never Rarely Sometimes Always), Sorry Baby partage avec ces films une même attention au corps en crise et à l’importance de trouver des soutiens, mais aussi cette même élégance dans la manière de raconter l’indicible. Entourée d’un casting impeccable – Lucas Hedges, Louis Cancelmi, Kelly McCormack – Eva Victor s’impose comme une artiste complète, aussi touchante devant la caméra que derrière. Un geste de cinéma qui, tout en restant à hauteur de regard, ouvre un espace de consolation pour celles et ceux qui se croient seul·e·s à ne pas aller très bien.

Bande-annonce

23 juillet 2025 – D’Eva Victor


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