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MARIA

Maria n’est plus une enfant et pas encore une adulte lorsqu’elle enflamme la pellicule d’un film sulfureux devenu culte : Le Dernier tango à Paris. Elle accède rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au scandale…

Critique du film

Alors que le cinéma français peine à libérer la parole des femmes et se regarder dans le miroir, un film revient sur une tragédie s’étant déroulée sur un plateau de tournage. Désormais disparue, l’actrice Maria Schneider avait déclaré à plusieurs reprises que la scène du viol par sodomie de son personnage avait été tournée à son insu (ni son partenaire Marlon Brando, ni le réalisateur Bernardo Bertolucci ne l’avaient prévenue) et alors qu’elle ne figurait pas au scénario. Âgée de seulement 19 ans à l’époque, elle avait été prise de court, demeurant traumatisée pendant plusieurs années. Victime de cet abus de pouvoir autant que des violences psychologiques et sexuelles, la comédienne avait sombré dans une dépression sévère, tandis que le cinéaste assumait son choix en toute impunité des années plus tard. En 2013, Bertolucci confirmait que la comédienne n’avait pas donné son consentement et que sa réaction était authentique, affirmant sans remords qu’il voulait qu’elle réagisse « en tant que fille, pas en tant qu’actrice. Je ne voulais pas que Maria joue sa rage et son humiliation, je voulais qu’elle ressente la rage et l’humiliation », avait-il déclaré sans mesurer la portée de ses actes.

Maria, le nouveau film de Jessica Palud revient sur l’histoire entourant ce tournage, la médiatisation qu’elle amènera mais également les séquelles que cette scène non-consentie auront sur son interprète, dont on a trop longtemps bafoué le statut de victime. Alors que de nombreux comédien.ne.s louent désormais la présence de coordinateurs d’intimité sur les plateaux, afin de permettre à chaque protagoniste de tourner les scènes dans un cadre de confiance et de respect de chacun.e, il n’en était rien à l’époque et de nombreuses limites pouvaient être franchies, certains cinéastes abusant parfois de la jeunesse d’acteurs et actrices débutants, les conduisant à tourner dénudés ou à mettre en boite certaines scènes qu’iels n’avaient pas validées en amont.

Maria film

Présenté en avant-première au festival de Cannes, le film, dédié à la mémoire de la comédienne, commence alors qu’elle retrouve son père qui ne l’a pas élevée, Daniel Gélin. Acteur, il lui fait découvrir l’envers du décor tandis que sa mère voit d’un mauvais oeil leurs retrouvailles, gardant une rancoeur tenace envers cet homme absent. Bientôt, Maria pousse la porte d’une agence et se lance dans le cinéma. Après quelques rôles mineurs, elle est repérée par Bertolucci, qui voit en elle « quelque chose de blessé qui l’attire » et lui propose le rôle principal féminin de son nouveau film, Le dernier tango à Paris, dont il met en avant la « relation physique et intense » qu’elle racontera.

L’opportunité de partager l’affiche avec l’icône Brando est inespérée pour une comédienne en début de carrière. Alors qu’elle apprivoise la star hollywoodienne, qui fait tomber le masque et semble créer un lien de confiance, un premier écart intervient : une tête sous l’eau, dans la baignoire. Bertolucci s’en défend et assume mettre en scène une relation toxique, et l’admiration d’une Maria encore novice ne lui permet pas de poser les limites aux deux hommes face à elle, bien plus âgés et plus installés qu’elle dans le milieu. Plus tard, le réalisateur italien invite son comédien phare à se montrer plus intense, plus agressif afin de changer la couleur de la scène qu’ils vont tourner. C’est alors que, devant une assistance médusée, Brando va dépasser les bornes sous l’impulsion du réalisateur et improviser une scène de viol anal avec une brique de beurre comme lubrifiant.

Maria Schneider

« Ce n’est qu’un film » se justifieront-ils. Mais doit-on tout accepter pour la création ? On se souvient alors du discours adressé par Monia Chokri l’an passé avant la projection de Simple comme Sylvain : « On excuse à celui qui crée cette propension à l’abus sur les autres. Parce qu’on ne doit pas déranger les maîtres… leur parole sociale, leur contribution au monde est tellement plus importante que les dommages collatéraux, que les incidents… »

« Tout le monde s’en fout de la vérité »

Alors la parole de Maria Schneider, l’une des premières comédiennes à avoir oser s’exprimer, malgré les réprimandes de son entourage professionnel, trouve un nouvel écho dans ce long-métrage. Très vite, elle avait dénoncé cet abus dans la presse, mais personne n’écoutait, trop occupés à la regarder comme son personnage, à chercher des éléments croustillants pour garnir leurs colonnes. Alors elle s’abîmera, longtemps, dépressive et bientôt dépendante à l’héroïne. Elle en parlera dans l’indispensable documentaire de Delphine Seyrig (Sois belle et tais-toi) ou au gré de ses interviews, pointant encore et encore du doigt le fait que « les films sont écrits par les hommes pour les hommes » alors que nombre de réalisateurs et producteurs aimaient à déshabiller leurs comédiennes, même lorsque les scènes ne le justifiaient pas.

À une époque où il devient impératif d’enfin remettre en cause la parole de l’artiste tout puissant et de porter la voix de celles qui parlent, le film de Jessica Palud raconte ce parcours tragique à travers quelques moments clés et fait écho aux prises de parole récentes, qui devront toujours trouver écho et soutien. La réalisatrice, qui semblait toute désignée pour porter cette histoire à l’écran, ayant collaboré avec Bertollucci à l’époque de The Dreamers, parvient à trouver la juste distance et l’empathie pour dresser ce portrait qui résonne d’autant plus à l’heure actuelle. Sa comédienne principale, la brillante Anamaria Vartolomei, prête son charisme et sa vulnérabilité à cette femme brisée et humiliée, à laquelle le film permet de rendre un vibrant et nécessaire hommage.

Bande-annonce

19 juin 2024De Jessica Palud, avec Anamaria VartolomeiMatt DillonYvan Attal


Cannes 2024 – Premières