Langue étrangère

LANGUE ÉTRANGÈRE

Fanny, une lycéenne française de 17 ans, part en voyage linguistique en Allemagne, à Leipzig. Elle y rencontre sa correspondante, Lena, qui a le même âge qu’elle et commence à s’intéresser à l’activisme politique. Pour l’impressionner, Fanny commence à s’inventer une vie qui va bientôt l’emprisonner dans ses mensonges.

Critique du film

2024 marque l’anniversaire des dix ans de la Caméra d’or de Party girl, film français réalisé par trois jeunes auteur et autrices dans une volonté d’effort collectif avant de se lancer dans des carrières en solitaire. Claire Burger est la première de ces trois artistes à avoir réalisé un long-métrage après ce grand succès au festival de Cannes, avec le plutôt réussi C’est ça l’amour, sorti en 2019 dans les salles françaises. Langue étrangère, son deuxième film seule aux commandes, part dans une direction très différente. Née et ayant grandi à la frontière franco-allemande, Burger avait à cœur de réaliser une histoire d’échange entre ces deux pays, matérialisée par deux jeunes adolescentes, Fanny vivant à Strasbourg et Lena habitante de Leipzig dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Ce choix provient d’une envie de montrer ce pays sous un angle peu regardé au cinéma, plus enclin à filmer Berlin, Munich ou Hambourg, les grandes villes millionnaires de l’Ouest.

Les premières images voient Lilith Grasmug, interprète de Fanny, retrouver Nina Hoss, la mère de sa correspondante, venue la chercher à la gare. Mal dans sa peau, bourrée de complexes et dans un moment difficile à bien des titres, Fanny découvre une famille aussi mal en point que la sienne. Lena ne veut pas d’elle chez elle et la découverte manque de peu de tourner court. C’est en manifestant ses problèmes que Fanny attire le regard de la très sauvage Lena, qui lui laisse une chance, avant de finir par s’attacher à elle. Cette première partie du film est sans doute la plus travaillée. On sent à chaque plan la recherche effectuée par Claire Burger et ses équipes, dans une volonté profonde de représenter l’Allemagne loin de ses clichés et de creuser très profondément les aspérités d’une génération qui interroge beaucoup son passé pour se définir.

Rapports de force

Le jeu des comparaisons entre culture allemande et française, si elle n’est pas un cheval de bataille de la cinéaste, est pourtant inévitable. Lena parle un français impeccable là où sa camarade balbutie son allemand. Et si la classe française se manifeste par son insolence et son instabilité, la classe de Lena semble ouverte, avec une envie de discussion et de débat qui ne laisse place qu’à l’intolérance et l’hostilité du coté strasbourgeois. Lena se démarque par sa vitalité, ses engagements multiples et sa soif d’en faire plus pour améliorer le monde qui l’entoure. Dans sa relation avec sa mère, il y a presque une inversion du rapport de force, l’aîné peinant dans sa vie et ses excès. Ici encore, le rapport de force est inversé dans la famille de Fanny, où ce sont ses problèmes qui occupent le plus de place dans les prises de bec du foyer.

Mais au delà de ces points sociétaux, certes passionnants, il convient de dire à quel point Langue étrangère est avant tout un film sur le désir et l’éveil amoureux de ces deux jeunes femmes. Les mensonges dans lesquels s’enferme Fanny ne sont là que pour essayer de construire un personnage qui pourrait plaire à Lena, notamment en terme d’engagement politique, terrain qui ne l’intéressait pas du tout avant de faire sa rencontre. Pour Fanny, mentir est plus facile que de dire la réalité, qu’elle pense trop simple et peu séduisante. Claire Burger réussit magnifiquement ces scènes de dialogue qui définissent le caractère de chacune, leur sensibilité, jusque dans les non-dits, comme sur le harcèlement scolaire que subit Fanny, car ces silences sont criants de vérité.

Josefa Heinsius, interprète de Lena, dont c’est le premier rôle au cinéma, est une véritable découverte. Son dialogue à cœur ouvert avec le père de Fanny, où elle comprend que tout ne fut que mensonge depuis le début de leur relation, est un grand moment de cinéma. Ici encore, si les mots sont beaux et justes, c’est dans le regard et l’absence de dialogue que se joue toute la beauté de la scène. Il est bien question d’amour ici, et non seulement d’amitié, comme une métaphore de ce couple franco-allemand qui ne cesse de se regarder sans jamais vraiment se comprendre. Claire Burger, peut être involontairement, dresse une radiographie d’une rare précision sur tout ce qui nous sépare, et qui pourtant devrait nous rapprocher.


De Claire Burger, avec Lilith Grasmug, Josefa Heinsius et Chiara Mastroianni.


Berlinale 2024