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FREMONT

Donya, jeune réfu­giée afghane de 20 ans, tra­vaille pour une fabrique de for­tune cookies à San Fran­cis­co. Ancienne tra­duc­trice pour l’armée amé­ri­caine en Afgha­nis­tan, elle a du mal à dor­mir et se sent seule. Sa rou­tine est bou­le­ver­sée lorsque son patron lui confie la rédac­tion des mes­sages et pré­dic­tions. Son désir s’éveille et elle décide d’envoyer un mes­sage spé­cial dans un des bis­cuits en lais­sant le des­tin agir…

Critique du film

Récompensé d’un Prix du Jury lors du 49e festival de Deauville, Fremont de Babak Jalali est le quatrième long-métrage de ce cinéaste anglo-iranien (remarqué à Locarno, Rotterdam et Berlin) dont on aurait souhaité qu’il reparte avec la récompense majeure à Deauville tant il se distingue des autres oeuvres présentées en compétition cette année.

Après avoir travaillé comme interprète pour l’armée américaine en Afghanistan, Donya (Anaita Wali Zada) s’adapte désormais à sa nouvelle vie à Fremont, une ville de la banlieue de San Francisco où elle s’est installée avec d’autres compatriotes ayant fui leur pays natal suite au retour des talibans. Exilée de chez elle, elle n’en demeure pas moins hantée par l’absence et les souvenirs de ses proches qu’elle a été contrainte de laisser derrière elle.

Avec son élégante photographie en noir et blanc et sa prosodie délicieusement monotone, le film de Jalali ne manque pas de rappeler quelques oeuvres de Jim Jarmusch et Wes Anderson. Comme ses illustres prédécesseurs, l’auteur observe l’Amérique et déroule son propos à travers le regard d’une immigrée qui tente de s’adapter à son nouvel environnement, tout en portant en elle la culpabilité d’être partie, mais aussi de se permettre de construire une nouvelle vie, plus épanouie. Car, alors qu’on commence à la découvrir, on réalise que son existence semble figée et qu’elle s’interdit cette perspective. On l’entend même soumettre ce questionnement à son voisin, un homme mélancolique qui fume au balcon chaque soir. Ensemble, ils partagent d’ailleurs régulièrement quelques réflexions existentielles, comme cette belle évocation du mouvement des étoiles dans le ciel.

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Fait d’apaisantes routines quotidiennes, Fremont suit la conception à la main de ces petits biscuits providentiels (les célèbres « fortune cookies ») alors qu’elle se lie d’amitié avec sa truculente collègue, puis se voit offrir une promotion par son patron, un patriarche asiatique bienveillant et sage. Truffé de douces curiosités, le film diffuse sa mélancolie et sa poésie pour nous envoûter progressivement, fort de sa galerie de personnages singuliers mais foncièrement attachants.

Désormais promue comme rédactrice des messages de prédiction des petits gâteaux, Donya semble collecter autour d’elle des fragments de sagesse pour rebâtir son nouveau monde par la même occasion. C’est dans ce mélange de simplicité, de retenue et d’exploration philosophique que Fremont séduit énormément. Pour autant, ce film si charmant n’en oublie pas d’être drôle, parfois irrésistiblement drôle même, comme lors de ses échanges téléphoniques avec sa collègue de travail (qui joue les conseillères sentimentales) ou avec son thérapeute, un praticien farfelu passionné par Croc Blanc.

Fremont

Résolument imprévisible, Fremont achève de nous charmer définitivement dans son dernier segment, qui voit apparaître Jeremy Allen White (la grande révélation de The Bear) dans la peau d’un mécanicien maladroit peut être aussi introverti que Donya, qui provoque l’étincelle qui nous raccompagne avec douceur vers le générique de fin. En cet instant, deux solitudes se sont croisées, par hasard, et elles pourraient bien s’accorder, pour entrouvrir, enfin, la perspective d’un avenir.

Fremont réussit le petit exploit de captiver le public avec cette très simple histoire sur le pardon de soi et les désirs refoulés de renaissance, nous embarquant aux côtés de Donya sur le cheminement vers l’acceptation et l’imprévisibilité des petits bonheurs de la destinée. Cette comédie dramatique atypique marque les esprits, forte de sa mise en scène maîtrisée, de ses performances sobrement puissantes et de sa photographie séduisante. Assurément, il était là le joyau caché de cette 49e sélection deauvillaise, une pépite qui mérite tout l’amour qu’il a recueilli au cours du festival, et peut-être même un peu plus.

Bande-annonce

6 décembre 2023 –  De Babak Jalali, avec Anaita Wali ZadaJeremy Allen WhiteGregg Turkington


Deauville 2023Prix du Jury




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