WAR PONY
Deux jeunes hommes de la tribu Oglala Lakota vivent dans la réserve amérindienne de Pine Ridge. À 23 ans, Bill cherche à joindre les deux bouts. Que ce soit en faisant des livraisons ou en élevant des caniches, il est déterminé à se frayer un chemin pour atteindre le “rêve américain”. Matho, 12 ans, est quant à lui impatient de devenir un homme. Cherchant désespérément à obtenir l’assentiment de son jeune père, Matho prend une série de décisions impulsives qui bouleversent sa vie et ne lui permettent pas de faire face aux dures réalités du monde. Liés par leur quête d’appartenance à une société qui leur est hostile, Bill et Matho tentent de tracer leur propre voie vers l’âge adulte.
Critique du film
Filmer une autre Amérique, loin des représentations hollywoodiennes et dresser le portrait de populations en marge du système prédominant : la démarche est loin d’être innovante mais force est de constater qu’elle continue d’inspirer les jeunes cinéastes désireux de donner une voix aux invisibles. C’est sur le tournage d’American Honey d’Andrea Arnold que nait l’idée de War Pony. L’actrice Riley Keough s’y lie d’amitié avec deux figurants amérindiens, Bill Reddy et Franklin Sioux Bob dont l’histoire personnelle la touche particulièrement. Rejointe par Gina Gammell, l’équipe se lance alors à huit mains dans l’écriture d’un long métrage ayant pour décor la réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. Fer de lance du projet, le duo féminin décide également d’officier en tant que réalisatrices et productrices.
Prenant la forme d’une chronique, le récit suit le quotidien parallèle de deux jeunes amérindiens, descendants de la tribu des Lakotas. Bill, la vingtaine et papa précoce, tente de gagner péniblement sa vie de manière plus ou moins légale, selon les opportunités qui se présentent à lui. De son côté, Matho est un jeune adolescent sans repères, livré à lui-même et délaissé par un père abusif à qui il cherche pourtant à plaire à tout prix. Animés par la même volonté de s’en sortir, les deux garçons cherchent à trouver leur place au sein d’un environnement hostile que le rêve américain semble avoir déserté.
Mues par une envie de représenter le plus fidèlement possible la population qu’elles dépeignent à l’écran, les réalisatrices choisissent naturellement d’adopter une approche naturaliste. Tourné exclusivement dans la véritable réserve de Pine Ridge avec un casting de locaux non professionnels, le film met en place un dispositif quasi documentaire afin d’ancrer la fiction dans une réalité la plus palpable possible. L’intention est louable et on ressent à chaque étape du récit une vraie tendresse des cinéastes pour leurs personnages. Par ailleurs, les deux comédiens principaux incarnent avec beaucoup d’énergie et de sincérité des personnages qu’on devine pas si éloignés de leur quotidien.
Malheureusement, le scénario (très classique) emprunte des sentiers tellement rebattus qu’il annihile systématiquement tout le discours lié aux spécificités géographiques et socio-démographiques que cherche justement à traiter le long-métrage. Les difficultés quotidiennes rencontrées par Bill et Matho, ainsi que leur désir d’émancipation ont beau être des enjeux forts sur le papier, ils n’en demeurent pas moins conventionnels, vus et traités dans un nombre incalculable d’œuvres. Si bien que l’action pourrait avoir lieu dans une réserve aborigène située au Canada ou en Australie que cela ne changerait pas grand-chose ni au déroulement, ni à la portée des événements de l’intrigue.
De même, en se focalisant sur la misère sociale et humaine face à laquelle se retrouvent constamment confrontés les personnages, le film n’échappe pas à une certaine forme de complaisance involontaire qui provoque souvent un sentiment de malaise. On ne saisit pas toujours bien où se situe le regard des cinéastes, entre compassion sincère (voire naïve) dans ses meilleurs moments et démarche didactique plus problématique dans d’autres ; notamment lors des scènes entre Bill et son patron, propriétaire d’une exploitation agricole à l’extérieur de la réserve.
Manquant d’une identité propre et souffrant d’une écriture fragile, War Pony ne parvient jamais à transcender ses intentions premières. Les thématiques liées à la ghettoïsation de la communauté amérindienne sont passionnantes en théorie. Mais elles sont abordées ici de manière trop superficielle pour apporter une véritable réflexion politique pertinente sur le sujet. En résulte un double portrait certes touchant mais anecdotique et qui force un peu trop le trait pour obtenir les faveurs et l’émotion de son public.
Bande-annonce
10 mai 2023 – De Gina Gammell, Riley Keough, avec Ashley Shelton, Robert Stover
Festival de Deauville 2022 – Prix du Jury et Prix de la révélation