still_eureka

EUREKA

Un voyage dans le temps et l’espace, entre 1870 et 2019, entre les Etats-Unis, le Mexique et la forêt amazonienne, à la découverte de la culture amérindienne.

Critique du film

« Eurêka ! » Courant nu dans les rues de Syracuse, Archimède venait de découvrir la notion de masse volumique. 2200 ans plus tard, Lisandro Alonso se risque à reprendre cette formule pour titrer son premier film depuis Jauja (2014). Lui aussi aurait trouvé la réponse à l’une de nos questions existentielles : « Le temps est une fiction inventée par les hommes », nous explique un personnage du long-métrage. Le voyage onirique proposé par le cinéaste argentin s’ouvre sur un western en noir et blanc, avec Chiara Mastroianni en shérif et Viggo Mortensen dans le rôle d’un fou de la gâchette à la recherche de sa fille. Aucune place pour les Amérindiens dans cette petite ville de débauche. Les habitants couchent dans les rues, se saoulent à en oublier leur nom, se font tuer au moindre faux pas. Cette scène rappelle les apparitions de Rick Dalton dans Once Upon a Time in… Hollywood, loin d’être la seule référence du cinéaste. David Lynch, Apichatpong Weerasethakul, les frères Coen : difficile de ne pas voir en Eurêka une succession d’hommages aux grands réalisateurs des dernières décennies. Lisandro Alonso traverse les époques et les frontières pour nous inviter à découvrir les conditions des autochtones. Le froid glacial et les étendues de neige de Fargo précèdent une multitude de séquences « twinpeaksiennes », justifiées par l’amplitude du récit proposé.

La narration chimérique d’Eurêka se dévoile dès la fin de la séquence monochrome. Nous voici désormais à notre époque, à Pine Ridge, au cœur de la réserve Sioux du Dakota du Sud. Aux côtés de la policière Debonna commence un long voyage dans la nuit. La réalité des choses apparaît, bien loin de l’Amérique fantasmée par les hommes blancs. Ici, les Améridiens sont voués à s’appauvrir et à abandonner tout espoir d’ascenseur social. Alors qu’elle recherche une petite fille perdue, la policière croise des corps gisant dans un hangar désaffecté, sans vraiment savoir s’ils sont encore envie ou non. Rien qui ne la surprend.

eureka

La misanthropie du récit s’étale au fur et à mesure que le cinéaste multiplie les plans fixes, confirmant le désespoir infini de Debonna et, surtout, de sa nièce Sadie. On aurait espéré une caméra moins statique pour cristalliser l’ennui et la mélancolie. Cette multitude de plans fixes de plusieurs minutes finit par avoir l’effet inverse de celui désiré : la frustration remplace la mélancolie du spectateur, qui aurait pu se contenter de plans légèrement plus courts. Un choix artistique qui rend le ventre mou du film parfois difficile à traverser. Une erreur corrigée par la séquence suivante, alors que Sadie décide d’échapper à la réalité pour entrer dans le royaume des songes et continuer sa quête en Amazonie.

Un labyrinthe enchanteur 

Eurêka porte mal son nom. Lisandro Alonso ne donne pas la solution de son récit. Difficile de savoir si toute l’intrigue n’est que le fruit de l’imagination de Sadie, un rêve ou des événements bien réels… ou un mélange des trois. Les discussions des autochtones de la troisième partie du film, s’articulant autour de la place des songes et des hallucinations, nous portent à croire que cette féérie contée n’est autre qu’une pure interprétation de la notion de temps et d’espace. Mais l’histoire est trop décousue et opaque pour se permettre de cacher autant d’éléments de réponse, et Eurêka perd toute sa portée philosophique en empêchant d’en chercher une véritable interprétation.

eureka

Heureusement, les transitions entre chaque arc narratif se parent d’un charme particulier, révélant l’imaginaire sans bornes du cinéaste qui distille son message politique dans un monde où les règles préétablies se sont évanouies. Les Amérindiens sont totalement ignorés, voire méprisés, par les personnages de Mortensen et Mastroianni. Debonna et Sadie sont destinées à être abandonnées par un pays qui ne leur porte aucune estime, tandis que les autochtones de la dernière partie se font dépouiller leurs richesses par les colons. Lisandro Alonso nous invite à prendre conscience de la réalité de la situation traversée par les Amérindiens au cours de l’histoire et critique fortement le capitalisme glacial des États-Unis.

Objet filmique fantasque, Eurêka est une épopée folklorique à la technique et l’imaginaire remarquables, qui se perd malheureusement dans un récit trop nébuleux pour marquer son temps.


28 février 2024 – De Lisandro Alonso, avec Viggo MortensenChiara Mastroianni


Cannes PremièreFEMA La Rochelle



%d blogueurs aiment cette page :