BILAN | Nos coups de coeur ciné de novembre 2025
CHAQUE MOIS, LES MEMBRES DE LA RÉDACTION VOUS PROPOSENT LEUR FILM PRÉFÉRÉ LORS DU BILAN DU MOIS, CELUI QU’IL FALLAIT DÉCOUVRIR À TOUT PRIX EN SALLE OU DANS VOTRE SALON (SORTIES SVOD, E-CINEMA…). DÉCOUVREZ CI-DESSOUS LES CHOIX DE CHAQUE RÉDACTEUR·ice DU BLEU DU MIROIR POUR LE MOIS de NOVEMBRE 2025.
Le choix de François-Xavier

D’assistante sociale à travailleuse du sexe, de travailleuse sociale à assistante sexuelle, Kika, par nécessité, franchit la frontière poreuse entre ces deux métiers. Elle sait soulager, d’une manière ou d’une autre, mais n’a jamais appris à accepter la main tendue, à s’abandonner. Alexe Poukine suit son personnage sur le fil de la comédie sociale et de mœurs, greffant sur un terrain bien documenté un récit où les ruptures de ton font mouche, du burlesque au pathétique. Kika, c’est aussi la rencontre d’un rôle et d’une actrice, Manon Clavel, boule d’empathie et de colère. Elle porte le film et l’art de la comédie très haut.
Le choix d’Antoine

Après le succès critique et public de La Nuit du 12, le duo Dominik Moll / Gilles Marchand plonge à nouveau au cœur de l’appareil institutionnel des forces de l’ordre françaises. Mais, au lieu de la PJ grenobloise et de son affaire de féminicide irrésolu, Moll s’intéresse cette fois à l’IGPN, la « police des polices », et à sa manière de traiter un cas de violence policière survenu lors de la crise des Gilets jaunes, fin 2018. Face à un sujet complexe et toujours tristement d’actualité, Dossier 137 évite autant les écueils du film à thèse que ceux du pamphlet anti-flic, et ce grâce à un remarquable travail d’écriture qui allie rigueur documentaire et puissance dramaturgique propre à la fiction. Il en ressort une réflexion d’une grande lucidité — et franchement révoltante — sur la rupture totale de confiance entre l’appareil sécuritaire de l’État et les citoyens qui composent ce dernier. Le type de proposition qui donne furieusement envie de bouger les lignes !
Le choix de Sam

Des preuves d’amour s’affirme comme l’un des films incontournables de ce mois de novembre et même de cette fin d’année. Suivant Céline, future mère contrainte de justifier sa place auprès de l’enfant que porte sa compagne, le premier long-métrage d’Alice Douard dissèque avec délicatesse l’absurdité administrative et l’injustice qui pèsent sur les familles homoparentales, tout en captant la solitude, les doutes et les blessures intimes qui traversent son héroïne. Grâce à une mise en scène sobre, le film privilégie l’authenticité des émotions et révèle la violence d’un système qui exige des « preuves d’amour » là où d’autres n’ont rien à prouver. La performance magnétique d’Ella Rumpf, soutenue par la chaleur de Monia Chokri et la sensibilité fragile de Noémie Lvovsky, donne au récit une profondeur rare. Politique sans jamais perdre sa tendresse et son sens de l’humour, le film touche par sa vérité et confirme Douard comme une voix qui devrait compter dans le paysage cinématographique français.
Le choix de Théo

Fin, générique, écran noir, apparaît enfin le titre du film, qui sonne davantage comme une réponse universelle : on vous croit. L’œuvre de Dufeys et Devillers est un face à face, pas tellement face à l’horreur (quoi qu’évidemment un peu) mais face à la détresse, à l’incapacité de la justice à prodiguer quoi que ce soit d’utile aux victimes. Véritable film rouleau compresseur, on sent la retenue qui émane des débuts du long-métrage pour finalement exploser de rage. L’insoutenable est dit yeux dans les yeux, on l’endure sans le vivre et pourtant on saisit déjà l’enfer d’une existence aussi traumatique. Ce sont les mots qui tranchent, qui pèsent, qui tapent dur. On se prend les phrases en pleine figure, comme une projection instantanée. La colère monte sans jamais redescendre, car même au dernier instant tout repose encore sur la volonté des autres à croire l’horreur, à faire face à ce qu’ils ne préfèrent pas prendre pour véridique. On vous croit est un objet filmique simple et intense, dont émane forcément une émotion bouillonnante, celle qu’on hait ressentir.
Le choix de Simon

Entre la France des gilets jaunes de Dossier 137 et les purges staliniennes de Deux Procureurs, les deux films ne semblent pas partager un autre point commun que le même mois de sortie. Pourtant, tout comme le film de Dominik Moll, Sergueï Loznitsa met en scène un protagoniste, qui, au sein même du système, tente de l’améliorer. Les deux finissent par renvoyer leur protagoniste à leur impuissance, comme si le cinéma était conscient de ne pouvoir capturer qu’un sentiment de révolte et d’indignation, sans pouvoir devenir un acteur du changement. Loznitsa dilue cette frustration dans un minimalisme redoutable qui restitue parfaitement la violence de l’URSS. Là où le film déroute davantage, c’est quand il donne l’impression de regarder une fiction sur notre propre époque, une époque gangrénée par la multiplication des dérives autoritaires et des corruptions qui les accompagnent. Un grand film.
Le choix de Greg

Trois ans après le choc La nuit du 12, Dominique Moll revient avec Dossier 137, une œuvre toute aussi forte du point de vue cinématographique, mais dont la dimension politique est encore plus affirmée. En s’intéressant aux questions des violences policières, le film fait face à un sujet brûlant de notre époque, qui déchire régulièrement la société française. Au-delà de la période des Gilets jaunes qu’aborde le film, ce sujet fait malheureusement surface régulièrement dans notre actualité politique réveillant les antagonismes. On ne compte plus les affaires qui ont secoué le pays depuis 20 ans : Zyed et Bouna, Adama Traoré, Michel Zecler, Sainte-Soline ou Nahel… Cette liste malheureusement non-exhaustive, loin s’en faut, tous les français la connaissent, ont suivi les couvertures médiatiques, les « réponses » circonstancielles des politiques (ou l’absence de celles-ci !) et en ont une opinion tranchée. Dominique Moll parvient à éviter les écueils du manichéisme. Il ne s’agit pas de montrer les « gentils Gilets jaunes », contre les « méchants flics ». Les problèmes et les causes sont infiniment plus complexes et structurelles. Il ne cherche ni à accuser gratuitement ni à blanchir par confort. Moll préfère dévoiler les mécanismes, les pressions, les défaillances d’une administration et de politiques qui empêchent parfois la police d’être à la hauteur de la mission qui devrait la guider : agir avec justice et honneur. Le film refuse la caricature, mais ne masque rien des dysfonctionnements à l’œuvre. Il interroge sans relâche ce qui grince, ce qui déraille, ce qui conduit à la fracture. Sa mise en scène précise, tendue, donne chair à cette inquiétude sourde qui traverse tout le pays, à défaut de changer quoi que ce soit. Dossier 137 est une œuvre essentielle car elle a le courage de montrer ce que beaucoup veulent glisser sous le tapis. Et tant pis si certains éditorialistes de la Bollosphère s’étouffent devant le film.
Le choix d’Emilien

Le choix de Mathys

Bugonia suit l’histoire de deux activistes kidnappant une riche industrielle, convaincus qu’elle est une extraterrestre voulant détruire la terre. Ils l’enlèvent et la séquestrent dans une cave, essayant coûte que coûte d’obtenir des aveux, en vain. A partir de ce point de départ étrange et plutôt dérangeant, du fait d’une violence qui paraît injustifiée, le film construit une tension continue, à la frontière entre croyance et paranoïa, dans laquelle la lucidité se fait rare. Bugonia entremêle des personnages tous plus instables les uns que les autres, entre un homme désespéré qui se réfugie dans les théories complotistes, son ami d’enfance qui le suit sans trop réfléchir, et cette femme d’affaire aisée, une victime au profil de psychopathe froide et sans sentiments. La force du film vient dans cette aptitude à mêler humour noir, tragédie et suspens sans jamais se perdre, mais en déroutant le spectateur. La vérité lui échappe, autant qu’elle échappe aux protagonistes, ne sachant plus s’il faut les prendre au sérieux, ou s’ils ont sombré dans la folie et le complotisme. La mise en scène renforce cet inconfort, laissant la place aux acteur·ice·s d’exprimer autant la fragilité que l’absurdité, ce qui en fait une œuvre marquante.
Le choix de Victor

Faire une comédie romantique savamment bien orchestrée, en l’implantant dans une peinture de la société française située un an après le vote de la loi du Mariage Pour Tous ? C’est le pari lancé par la cinéaste Alice Douard pour son premier long-métrage, inspiré de sa propre expérience : celle d’une future mère, attendant l’enfant porté par sa femme, en proie à des doutes et aux regards des autres. C’est cette inspiration autobiographique qui apporte une force revigorante à Des Preuves D’Amour. Le film déborde d’amour pour ses personnages, menés impeccablement par le trio Ella Rumpf/Monia Chokri/Noémie Lvovsky, mais également pour un tempo comique qui fait mouche entre maladresse administrative et baby-sitting chaotique. Courez dans vos salles pour découvrir ce film, qui saura amplement vous justifier son titre.
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Shoah, le chef-d’oeuvre de Claude Lanzmann a désormais son hors-d’oeuvre. Je n’avais que le néant est la meilleure introduction possible au travail monumental d’un homme dont les images et les mots sont ici repris pour comprendre quels doutes il a traversé, quels affects l’ont à la fois bousculé et fortifié. Tout ce qu’il ne pouvait pas se permettre de montrer lui-même, sous peine de fragiliser une démarche tout entière vouée à arracher au silence une réalité insoutenable. Ribot donne à voir le regard de Lanzmann, cet éclair dans la nuit. C’est aussi, surtout, l’occasion de voir ou revoir Shoah, disponible sur Arte jusqu’au 18 mai 2026. – FXT






