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QUEERPANORAMA

Un homme se glisse dans la peau de chacun de ses amants, s’appropriant leur personnalité au gré de ses rencontres. Ce n’est qu’en devenant un autre qu’il parvient à être pleinement lui-même.

Critique du film

Le problème des films construits autour d’un concept sériel est qu’ils peuvent donner l’impression d’être répétitifs et stériles. Queerpanorama est indéniablement répétitif. Est-il stérile ? Non. Ce long-métrage, au titre aussi élégant que son noir et blanc, déploie un panorama de la variété des rencontres homosexuelles de son protagoniste. Bien qu’il prétende ne s’engager que dans des aventures sans lendemain, il garde pourtant la trace de ces rencontres éphémères en adoptant leurs personnalités pour chacune de ses nouvelles liaisons.

Les plans d’un soir défilent presque inlassablement à l’écran, le ballet des rencontres n’étant interrompu que par de brefs interludes où le protagoniste, « Je », se retrouve seul dans son appartement. Ces passages, chargés de mélancolie, l’exposent en proie à sa solitude. À un moment, on se demande — un peu par ennui, beaucoup par sympathie pour « Je » — si cette série va s’arrêter. Mais rien ne vient l’enrayer, pas même cette séquence où le protagoniste se prépare et se maquille pour sortir — et où, pour une fois, ce n’est pas pour un rendez-vous, mais pour aller seul en boîte de nuit. C’est l’un des rares moments où, dans la transe muette de la danse, il ne semble plus jouer un rôle. Il se meut alors avec une liberté et un lâcher-prise qu’on ne lui soupçonnait pas jusque-là. Cette liberté ne trouve pourtant comme aboutissement qu’un réveil douloureux et hagard sur la voie publique ; sa silhouette amorphe, allongée au sol et filmée depuis la hauteur d’une fenêtre, évoque un oiseau tombé en plein vol.

Queerpanorama

Dans l’avant-dernier long-métrage de Luca Guadagnino, Queer, sorti en février dernier, une phrase revenait à deux reprises : « Je ne suis pas queer. Je suis juste désincarné. » L’inadéquation des personnes queer avec leur environnement, conséquence directe de leur marginalisation, est un motif récurrent de l’art LGBTQ+. Et bien que ce trope ait été largement exploré, Jun Li parvient à le revitaliser, peut-être davantage encore que Guadagnino et son histoire d’amour empêché. Tourné dans les studios de Cinecittà, Queer plaçait ses personnages dans des décors volontairement en carton-pâte pour signifier la nature décalée et non normative de leur monde. Queerpanorama fait presque l’inverse : il investit des décors ultra-réalistes, non exotiques, souvent clos, qui ramènent au registre intime des relations dépeintes. Ce procédé accentue l’aspect spectral du protagoniste, qui n’a pas seulement pas d’identité propre, mais semble ne même pas exister dans notre réalité. On ne le voit jamais travailler, ni entretenir d’autres relations que celles déclenchées par son application de rencontres.

Le cinéaste glisse enfin en arrière-plan une dialectique entre la fluidité et la liberté des relations sexuelles du protagoniste, et la répression croissante à Hong Kong. L’an passé, après la première loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin en 2020, un nouveau texte a été adopté par le Conseil législatif, portant un énième coup aux droits humains des Hongkongais. La volatilité des relations apparaît alors comme la conséquence d’un avenir de plus en plus angoissant, d’une crainte de l’engagement plus globale qu’intime, car l’avenir n’est plus une temporalité dans laquelle il semble souhaitable de se projeter.

Bande-annonce

26 novembre 2025 – De Jun Li

Avec Jayden CheungErfan ShekarrizSebastian Mahito Soukup